quand je pèse de toutes mes forces
le tronc à l’horizontale
de la rame contre la berge
l’esquif menace de basculer c’est vrai
mais c’est le meilleur moment
je risque ma vie car le fleuve
bouillonnant est sans pitié
pourtant la joie qui surgit
est tellement ouverte aux frissons
que ce petit choc de rien du tout
qui engage vers le cours fabuleux
résonne comme un tutti de cuivres
tenu d’un roulement de tambours
la foule des vagues enfle le flot
au long du voyage le coeur battant
je traîne la nostalgie du choc premier
ils disent que c’est cela vivre
ils n’ont sans doute pas tort
alors porté par les bienveillantes paroles
je laisse filer l’esquif
je me retourne par instants
humeurs chagrines qui fuient
avec le défilement des peupliers
emplis d’oiseaux multicolores
berge et regrets sont loin
le roulis est si doux
caressant les piles des ponts
je me plais à chanter une chanson
qui parle d’un voyage que l’on fera
jusqu’à la mer immense
où les soleils se couchent longtemps
Pris en flagrant délit de désobéissance, vous désertez l’obscurité. J’aime ce changement constant des lignes de fractures de votre écriture, Raymond. Création et langage vous rendent possible d’exister, et vous voilà cherchant à savoir ce que ces mots et leur cadence exigent de vous.
Et j’assiste, attentive, à la métamorphose de l’écrivain. Là, je sens que vous avez dû vous mettre à écrire tout de suite avant que la musique ne s’échappe. Les mots qui dormaient dans la pénombre sont venus dans une joie étourdissante.
Respiration de plénitude qui brise la fatigue de vivre.
La voix bleutée du grand fleuve et son souffle vous hèlent en compagnie des étoiles et des oiseaux nocturnes.
D’autant que je suis comme ça; vous avez raison sur tout. La musique cherchée en effet. Montaigne dit “à sauts et à gambades”; vous dites “fractures”. . Je voulais mimer ma naissance puis ma vie… “exigent de vous” est une formule précieuse
Le projet s’est imposé comme vous dites. Il FALLAIT que j’écrive. celui-ci ou celui-là.
Vous dites de très belles choses. Les formulations que vous utilisez sont magnifiques. J’aime beaucoup en particulier ce “hélent” final qui correspond à ma manière à cet instant là.
Votre lecture est évidemment très flatteuse pour mon texte, mais il reste que vos mots sont précieux pour moi; vous m’envoyez un miroir, alors que ce texte je ne le vois pas vraiment; mais quand je vous lis, je pense immédiatement: “Ah oui, c’est ça, exactement ça!”. Je ne sais pas comment VOUS faites pour entrer dans ce texte… et les autres. ça aide grandement!
“La voix bleutée du grand fleuve” est exceptionnelle. Merci.
J’adore
Le rythme des mots nous emmène dans le monde de la nature dans laquelle on entre et
se fond…
Merci Micheline, c’est tout à fait le but recherché. une cascade, il y a une verticalité que je n’oublie jamais, avec un rythme que je cherche musicalement à susciter.
Pour entrer dans ce texte, je me place face à lui et je le regarde longuement cherchant à le comprendre comme je le fais face à une toile, un arbre, un oiseau.
Je reste immobile, endormant mes défenses, mon expérience de lectrice pour ne pas me perdre, pour ne pas déranger. Je le laisse “gambader”, frémir, se taire, résister, s’ouvrir. Peu à peu, c’est lui qui vient à moi et me parle. Alors, j’apprends, j’écoute; je pourrais ne pas écrire ce que je comprends alors et qui peut être un soliloque, un reflet mais j’aime dialoguer avec vous. Vos réactions disent ce “métier de vivre” (Pavese) et d’écrire, disent aussi l’homme que vous êtes face à ce siècle qui ne peut me laisser indifférente, sa difficulté de vivre. J’ai besoin de votre révolte, de votre mémoire, de votre générosité.
Quant à la technique, aux rimes, aux mots choisis, au mouvement du texte, à ces vides qui entourent les mots, ce sont les habits de votre écriture… je ne retiens que le cri dans le silence et la solitude d’un cœur battant. Ainsi, vous passez de vous à nous, vos lecteurs, témoignant de ce monde, de votre vie.
Alors, je marche lentement, m’éloignant du poème, le laissant à ses murmures, à sa liberté d’être. Adagio…
Oui, je vois très bien comment vous faites. Votre passivité première est une manière d’hommage qui vous amène à avancer et à vous rapprocher du contenu, du chant; J’aime beaucoup ce que vous dites des “habits” et de la solitude évidemment. Je dis “je” pensant bien que chaque lecteur viendra à la musique et que ce “je” deviendra un autre “je”. Donc un “nous”.
Les habits parfois bloquent, ils refusent de venir, pourtant je les suscite, mais parfois, comme ces jours ci le silence n’est pas suffisant pour laisser monter ce qui assez souvent vient très vite. Le silence doit être total. J’attends, parfois des jours (c’est plutôt rare, mais régulier; moment que je redoute). Souvent quand même, il s’agit d’un seul mot, d’une seule notion et viennent autour s’agréger une foule de mots qui bientôt jouent le trop plein; ça dérape. Il faut refuser ou noter ailleurs les autres aspects.
J’aime à égalité votre éloignement sur la pointe des pieds; le bébé doit continuer de vivre sa vie. Respirer lentement, avec un coeur en cascade qui bat vite. Ma main presse sans écraser, juste ce qu’il faut. Faire vivre en un tiède qui ressemble à la température du corps, sans étouffer. Les abstractions sont à éviter autant que faire se peut. Les abstractions et autres généralités sont mes ennemis; les contournant elles m’aident; m’obligeant à les éviter, elles m’offrent souvent de beaux aboutissements très réels même si réel ici ne veut pas dire réel comme cette table, mais je suis sûr que vous comprenez ce que j’entends par réel.
Avec une certaine Schadenfreude, je fais confiance au prosaïsme du temps pour m’emmener au pays d’ailleurs, dans l’éther(mot antique et hölderlinien) là où l’esprit nage en harmonie sous la lourdeur, au bord de l’inconscient…. mais surtout pas dedans, non, sur les rives du rêve là où ça s’organise; il y faut une certaine dose d'”animalité”, mais là je ne sais pas ce que cela veut dire. Sans doute sans langage, au bord des lèvres, là où ça balbutie. Les rives du rêve, allitération facile, et pourtant réelle. Non pas réelle, enfin si pour moi cela a une certaine dose de réalité, le bord des lèvres, balbutiement source. La musique guide là devant, elle a sa logique selon la cellule rythmique choisie et le sujet élu.
Sans vos interventions je ne suis pas sûr que j’aurais mis à jour cela, n’en étant pas tout à fait conscient. Ce n’est pas goût du secret, non non, c’est refus d’encombrement des mots par d’autres mots. “Grise est toute théorie” dit Goethe… “et vert l’arbre de la vie”.