j’aime à me souvenir du charme bleu
lointain qui promenait ses doigts
contre le ciel tu te souviens du jardin
la balançoire traînait ses cordes au vent
chaque jour d’avril explosait à la gorge
et ta main tenait dieu sait quoi de très cher
c’était ma main je crois
nous étions abandonnés aux branches
légers de joies sans paroles sans cris
aujourd’hui des aveux j’en aurais
pour dire une vie pleine de mots savoureux
et la bague que j’aurais dans ma poche
la bague ton regard au double chaton bleu
je te la tendrais du bout de mes sourires
il est bon d’avoir à l’esprit un arbre lourd
inscrit dans l’histoire de nos enfances
il est stable et doux s’incline au gré
de l’aventure de vivre
un peu de regrets ne fait pas de mal
jamais la braise ne fut délaissée
jamais la soif ne fut apaisée
et là-bas très loin nous glisserons nos pas
sur le gravier lentement crissé
je me défais du foulard inutile contre la brise
que je remets en place pourtant
pour libérer mes doigts retrouvailles
qui te serrent encore une fois pour voir
Étrange ce mélange de diaphane et de sensualité qui renvoie à quelque chose qui n’est plus et qui voudrait être encore. Orphée et Eurydice…
résurrection, oui, je me retourne, mais également je brouille le tableau comme le font parfois les impressionnistes, la distance, c’est comme si un objet volant filmait tout de loin, puis de près. Il ne faut pas que ce soit un vrai souvenir. C’est bien mieux quand il est inventé. La liberté est plus grande et plus la liberté est grande plus le tableau se creuse. Après tout un tableau n’est beau que de loin, il faut cinq pas. C’est aussi une marque de respect. J’aime cet écart. C’est ainsi que naît le sacré. Noli me tangere.
Noli me tangere. ..
Oui, la poésie établit cet écart, la seule voie possible pour ces mains qui ne peuvent atteindre la personne et que c’est du dedans, du dedans seulement, que l’on peut s’approcher .
La suspension du poème devient l’espace d’une loi intérieure. Son sens flotte et il devient labyrinthe où les voix se cherchent.
Mais en déportant votre poème vers le passé vous suggérez qu’il est mort car chaque événement de la vie n’a lieu qu’une fois, un réel qu’on ne peut plus… toucher. Il est troublant, je m’y attarde… Votre commentaire le rend paradoxal. Il me faut séparer l’apparence du sens. Distorsion bien accordée à la joie de la lecture. Marcher à reculons pour que le passé, même imaginaire, devienne désir, enchantement du présent.
Rilke le dit autrement : “Aussi doux que le souvenir, les mimosas baignent la chambre.”
Vous pourriez mettre ces mots comme titre à votre poème :
Noli me tangere.
Noli me tangere: OUI, j’y songerai, riche idée, j’aime tellement cette formule. On dirait une recommandation au lecteur. Les textes ne viennent pas de loin pourtant ; ils surgissent juste au dessous de la conscience. Il ne faut pas y toucher(sinon ils tomberaient en poussière, m’imaginé-je), tout au plus peut-on les DIRE. C’est ce “sans y toucher” qui donne une allure improvisée, alors que pour Charme par exemple il m’a fallu un jour entier. A un moment le brouillon était en telle surcharge que je n’arrivais plus à me relire !
Un de vos meilleurs poèmes, légèreté, errance des mots …
“errance des mots”: quelle belle formule ! Les papillons, les mots papillons à peine posés là.
Je vous remercie très vivement.
Oui, Soleil vert, la lecture accomplit le désir du poème et dénoue ses tensions.
J’interviens seulement pour approuver la description du mouvement du poème.
Je relis votre poème. Ce charme bleu, je pensais à un sortilège, une amulette… mais c’est aussi un arbre devenu bleu avec ses doigts caressant le ciel. Une branche… Une balançoire. Je pense soudain à un tableau de Berthe Morisot à son portrait au bouquet de violettes peint par Edouard Manet.
Charme de cette esquisse d’un bonheur frôlé et secret.
Charme, charmille… Un arbre sortilège…
https://femmes-de-lettres.com/2019/08/24/dominique-bona-berthe-morisot-le-secret-de-la-femme-en-noir/amp/
“Fixer quelque chose de ce qui passe.”…
Ce que vous risquez à chaque parution ici d’un de vos poèmes c’est le voyage de vos mots rencontrant les mots d’un lecteur. Comment ce dernier comprendra et disposera des mots du poète.
Parfois cette lecture provoque un palimpseste, un retour involontaire à ses livres lus.
Et là on revient à Pascal Quignard. Quand il écrit “voir dans la nuit” pour aller, je crois, au langage.
Je vends la maison de l’enfance. Je ne suis pas en mesure de l’entretenir.
Adieu murier, adieu cerisier, arbres de mes premiers poèmes.
Une faille dans cet adieu à l’enfance. Elle vous reviendra comme un vieux film dans le silence des rêveries. Habiter ailleurs… Un peu de buée en vous lisant.
C’est le lieu, l’île où poser ce chagrin, surtout sous ce poème. Un lieu où trouver l’apaisement. L’adieu est , au cœur de ce calme, un cri caché.
Enfance enfouie…
On a envie de vous dire: ne vendez pas. Mais comment faire autrement? Arrachez doucement une branche de chaque arbre et replantez les sur votre balcon. réenracinez vos arbres dans un ailleurs bientôt familier. Et si vous avez besoin d’un tuteur, allez aux textes consolateurs.
J’ai bonne mine avec mes consolations.
Pour vous, Soleil vert, ce poème de Thierry Metz (“Terre” – éd.Opales/ Pleine page)
“Je me lève.
Je dois chercher, continuer.
Je m’accroche aux nuages
C’est parfois comme si j’avais perdu la parole
une parole qui me met hors de moi
je retourne dans mes pas
mais il n’y a plus que l’aile et l’arbre
le lièvre.
Ce n’est plus qu’un courant qui me passe dans la voix.
Je me retourne
pour apercevoir les oiseaux
mais le ciel n’est pas là
c’est le linge
le drap
comme si j’avais suivi une maison (…)
Bâtir le toit
de cet instant
s’obstiner jusqu’au ciel
n’est-ce pas comme si
encore je marchais ? (…)
Un silence.
Un rien.
Un chat qui s’enroule autour de la main.
Couvert d’oiseaux.
Une plante dans un pot.
Un pichet.
Jour de semaine sans écriture.”
Merci