Presqu’île 3 et 4

Presqu’île  3

les pêcheurs refusent l’embarquement

une charrette mais pas un cheval 

ça porte malheur sur un bateau un cauchemar

les poissons d’accord mais pas les autres bêtes

dit le capitaine sévère de son air malin

on ne discute pas

Magdala et le musicien s’éloignent par l’estran

ils tâtonnent elle le guide jusqu’au chariot 

les étoiles dansent entre les oreilles de Dactyle 

ils remontent la presqu’île dans la nuit

il chantonne une histoire d’amour en mineur 

elle chuchote des encouragements à la bête

le cheval oui sans doute le cheval sait-il

son instinct est plus sûr que leurs pas

Presqu’île 4

les voici roulant entre deux mers

confiants ils parlent bas

les vagues chuchotent au plein du ressassement des rocs

la lune se risque aux croisillons des branches

elle nous fait des clins d’œil dit Magdala

lenteur des roues qui craquent sur les aiguilles de pin

vivre est dangereux songe-t-il

il est si doux d’être tout et pourtant si peu

ma voix seule est preuve de vie

voici ma main murmure Magdala

ils se devinent à peine du regard

jamais ils n’ont été proches à ce point

bercés d’obscur plus un mot

leur amour file dans le grincement des roues

Presqu’île 1 et 2

Presqu’île 1

restes d’orage les angoisses du ciel

meurent vers le soir par petits échos

mauvais rire des ciels crépusculaires

il pense à Magdala il a peur puis se jette

à la réparation

souder visser tant pis pour l’obscurité

il a fait un feu la lune daigne paraître

sur la scène sablonneuse

l’équilibre est au futur 

les pas du temps tournent dans la nuit

il ne se lasse pas de goûter la tâche 

l’air allégé porte ses gestes sa force

serrant chaque boulon il pèse de tout son corps

à l’aube fier de l’œuvre il s’endort dessous

Presqu’île 2

au réveil il est midi une voix monte

c’est un chant de parade en mineur

qui dit l’espérance d’un lieu

à défaut de maîtriser le temps 

mon ami chante Magdala mon ami

l’épaisseur des murs gardera nos mystères

il faut renoncer à l’errance

nous ne pouvons user nos pas toujours

mon corps ne supporte plus les quatre vents

chacun écoutera l’autre en paix

dans un bleu où luit la liberté rêvée

réveille toi

des pêcheurs m’ont indiqué un port lointain 

nous partons avec eux ce soir vers la tour abolie

Souffle 7

Souffle 7

les épreuves sont une bénédiction songe-t-il

en jetant les bagages par dessus bord

tout est trempé il constate en déménageant 

qu’un essieu menace de se briser

il désosse patiemment le chariot 

erre avec Magdala pour chiner un poste de soudure 

le temps s’écoule en murmures amoureux

mes mains de pianiste peuvent bien réparer

il soupèse des heures la tâche qui l’attend

les étais les roulements l’axe 

tout est là sur la bâche graisseuse

il pense si longtemps qu’il oublie il est tard

Dactyle le sort de sa torpeur en le poussant de son nez 

ses doigts serrent un papier où Magdala l’assure de son retour

Souffle 5 et 6

Souffle 5

 trop entendus ils se sentent mal compris 

elle ne chante plus annonce-t-il mélancolique 

il repousse alors les quémandeurs du plat des mains

en pleine poitrine

amis laissez-nous respirer

 et les villages le soir subissent le vide des réverbères

les rues déversent le bleu imagé qui mime la paix des ménages

l’ immobile des langues dans les palais 

que chantait Magdala en forme de protestation

 revient inexorable 

la carriole grince Dactyle à trois pas souffle 

ils oublient ils oublient ils oublient 

leurs corps prisonniers s’ouvrent au vent du soir

 les violettes de mars préparent leurs effluves

Souffle 6

vers le printemps des vertiges s’organisent 

le pays où fleurit l’oranger se pomponne

la mer sans marée chuchote à peine 

il sent obscurément que l’avance est trop fluide

 le silence menace de revenir 

ses mains tremblent de n’avoir que les rênes à tenir 

ou la bâche à tendre en manière de toit

notre vie peut s’effilocher Magdala risque-t-il un jour

le paradis s’offre dans le bain salé les fruits le pain 

et la longue sieste de l’idylle rejouée

angoissés ils regardent l’horizon verre en main

les voiles vont disparaissant 

l’ombre de la dune dialogue avec les vagues

 c’est sombre tout à coup un éclair et puis l’orage 

Souffle 3 et 4

Souffle 3

la pensée d’une automobile 

leur fait horreur

ils dénichent une carriole bleue chez les gitans 

l’achètent il la rebricole elle panse le cheval

elle lui parle évoque son pas et les vagues

le régulier des syllabes plaît à la bête qu’elle nomme Dactyle

c’est un rythme qu’elle lui donne il fait oui 

Dactyle calque son pas sur les chants qu’elle murmure

les lavandes bordent leur avance

la mer se blottit contre les rocs

où ils campent à l’écoute du premier temps 

ils vont par les villages aux fontaines de pierre 

boivent rêvent serrent les pauvres gens dans leurs bras

bourrent de pain les poches des petits

Souffle 4

ivres de vent ils s’endorment sous les platanes 

refusent en souriant les lits de hasard 

la carriole est si douce disent-ils 

pensant à la peau de l’aimé 

la belle étoile habille nos rêves dit-il 

c’est ma liberté arrachée à la nuit du temps dit-elle

sous la tramontane ils se serrent sous la bâche voile

ce sont des enfants étonnés d’être vivants encore 

habillés de hâte et de sourire 

ils se réjouissent d’être célèbres certes

mais rêvent qu’on oublie leurs chansons

pour respirer sans passé 

elle songe que les pauvres gens feraient mieux d’emprunter

le chemin mouillé de l’estran où l’on renaît au présent

Souffle 1 et 2

Souffle 1

la montagne les cerne

elle s’arrime au bras du musicien

l’étoffe grince

je suis épuisée mon amour 

il serre sa main chargée de bagues pour lui dire qu’il la suit

ils nous oublieront dit-il ne pleure pas 

ton cœur musette a trop chanté

toi et moi où étions-nous passés

arrêtons tout mon amie 

je mesure nos peines dit-elle 

en poussant la neige du bout du pied 

il nous faudrait autre chose à chanter

ces montagnes sont l’enfance aux abîmes

allons à la mer pour avoir un horizon

Souffle 2

ils apprennent à remarcher côte à côte

esquissant de minuscules étapes

 ils se perdent en janvier dans les criques du pays bleu

où le soleil les console des courtes nuits d’antan

les je t’aime refleurissent 

dans les mimosas où ils s’enfouissent

la poudre rajeunit leurs cheveux

essaime sur leur peau ce sont deux étoiles vives

elle sourit de leurs affaires passées 

avoue que chanter n’était pas son destin 

ni se vendre

il laisse filer le silence

 frémit dans février en fleur

 il espère dans les routes qui mènent loin

Prison 7

Prison 7

les ardentes nuits de décembre

 où les étoiles s’effacent si souvent

 suscitent chez Magdala le désir d’arrêter

c’est un étranglement 

le couteau la prison 

toutes ces villes furieuses traversées à la hâte 

ne valent pas le risque banal du désamour 

et le public songe-t-elle 

qui nous imagine au paradis

alors que nous commençons à peine à respirer 

durant ces rêveries il lui prend la main 

la tapote de sa paume

lui donne à entendre des notes fictives

et finit par chantonner une mélodie nouvelle

prison 5 et 6

Prison 5

ils ont un mal fou à se défaire des fans

 par bonheur les trombes d’eau de novembre 

cinglent le pavement noir

 ils fuient sans se protéger 

s’étreignent brièvement sous un porche 

tandis que la petite Marie sous le parapluie

 les guette en souriant 

elle s’excuse

tu auras ton chèque dit le musicien 

elle fait non de la tête 

ce n’est pas ce qui me préoccupe dit-elle 

j’ai eu si peur

de vous voir séparés 

vous êtes un exemple

Prison 6

vous ne vous rendez pas compte poursuit-elle 

c’est normal vous le vivez

la prison a renforcé votre amour

comme si vous aviez eu besoin d’une preuve

non dit-il comme si le public en avait eu besoin 

sans doute dit la petite Marie de sous le parapluie 

vous êtes aux déchirés de notre temps 

une incarnation de leur rêve

de leur paradis

elle reprend de sa voix d’ange

voyez vous en modèle

considérez vous comme un idéal 

que la voix de Magdala nous enrobe de joie

approfondissant le fil éphémère de nos vies

Prison 3 et 4

Prison 3

chaque matin elle apparaît en dignité 

implacable envers les gardiens qui l’approchent 

elle les repousse du regard

 il note qu’un périmètre sacré se forme

dès qu’elle avance vers lui

 lentement les autres visiteurs s’écartent

 ils la saluent 

des adolescents et leurs mères la désignent des yeux

 ils savent qui je suis dit-elle 

énigmatique solennelle 

il lui sourit  

elle lui dit qu’il est beau 

lui n’ose toujours pas parler une grille les sépare

chaque barreau figure un épieu dans sa gorge

Prison 4

il lui faut s’expliquer

 la petite Marie le relaie le juge approuve

il comprend 

d’autant que le nombreux public se tient sage 

mais on sent son souffle de fauve 

prêt à protester pour défendre son accusé

 le talent de leur artiste est gage d’humanité 

la ferveur protège le parolier 

la passion le musicien 

voici Magdala qui témoigne 

de sa voix reconnaissable entre mille 

où le piquant et la chaleur s’échangent 

elle humecte ses mots de sons si mélodieux 

que son amoureux sur le champ est relaxé

Prison 1 et 2

Prison 1

il ne l’éprouve pas comme un retour 

à la case départ

la grande terreur de respirer 

ne lui presse plus les poumons 

Marie l’avocate est franche malice des yeux

 il s’y attarde longtemps pupilles tilleul 

où le gris et le vert se mêlent quasiment 

il y voit des plaines des collines et l’océan soudain

 battements de ses cils vagues si curieux qu’il s’y perd

le bonheur que ce serait

 il rêve d’être là-bas avec Magdala

 il se voit écrivant une chanson de la plus haute tour

Marie le protège de toute sa clarté souriante

 un couteau contre un ivrogne c’est un acte de piété dit-elle

Prison 2 

il n’aime pas trop l’ironie goûte peu la manière

 mais Marie est si limpide 

si forte derrière ses allures de gamine moderne

il eût aimé une avocate plus noble

 avec la carrure stupéfiante de sa belle

 il l’appelle vite petite Marie exige du papier 

un crayon à mine affirme qu’il faut tout faire pour Magdala

trois jours sans la voir

trois jours sans elle à reronger ses ongles 

enfin son visage qui s’encadre

au matin de visite 

brouhaha poussiéreux du parloir 

je ne peux rien dire dit-elle parler et aimer s’excluent

je te dévore dit-il 

fête 7

Fête 7

il voudrait écrire sur le meurtre 

il n’y parvient pas

un soir de délire où la foule compacte

bénit Magdala et s’enflamme 

un soir de folie où le cœur lui bat précipité 

alors qu’il se laisse fasciner aux sunlights 

qui sculptent le corps et la voix de la belle 

il sent des poignes aux épaules 

deux gardes le menottent dans la foule

l’entraînent vers le silence 

et la nuit

une fois dans sa cellule on l’inculpe de coups et blessures

l’agresseur ayant survécu au couteau

son chant rêvé monte inutile

Fête 5 et 6

Fête 5

du haut de ses cordes vocales elle dit 

elle aime regrette rit s’étouffe hurle pleure 

chants paroles qui jamais ne s’envolent tout à fait

blotties au fond de la mémoire 

les syllabes catapultent d’uniques visions

fleuve d’impressions sans barrage 

alimenté par des millions d’auditeurs dispersés

et emportés ensemble 

nous sommes bien peu songe-t-il 

en posant les mains et les mots sur le piano

 il redoute le tintamarre

 la crudité publique aux pieds de Magdala

 que faire en effet de ces faciles brouettées

 issues d’un présent à peine supportable

Fête 6

sans foi ni loi  il cultive son âme d’enfant 

pour faire pleurer les âmes des autres

 il refuse le courant cynisme

il aime Magdala

 il pense souvent à l’assassin qu’il fut 

tout le monde tue la nuit songe-t-il

je l’ai fait en plein jour pour la protéger 

ses chansons disent pardon pardon pardon 

il s’excuse d’être léger 

d’avoir malgré tout encombré l’astre terre

c’est elle qui  fait vibrer les mots 

oui c’est elle qui porte leurs deux misères

et c ‘est douce maison

 et c’est leur raison de survivre en joie

fête 3 et 4

fête 3

l’avance est belle quand on est deux 

leurs mains ignorent le vide 

et leurs jambes au sommeil se mêlent

la peur s’évapore

rien ne résiste à la voix de Magdala

jardinier il ratisse les notes au gré 

collecte les mots de terre pour lui et de chair pour elle

sans elle le voyage eût été vain

 à la recherche d’un lieu qui inspire 

le piano seul était son viatique 

il adore le confort des auberges d’automne

mélancolisant à travers elle il admire 

la chanteuse gorgée d’estimables rengaines

qui éteint les effrois des crépuscules d’octobre 

Fête 4

il constate soudain qu’un an s’est écoulé

depuis sa sortie de prison

les feuilles d’un brun lisse introuvable ailleurs 

luisent sous les réverbères 

il revit la montée des succès 

les enregistrements de Magdala

les signatures de disques  

lente victoire sur leur dérive 

les échos par milliers des je t’aime posés

du bout des doigts presque rien 

au diapason des égarés du temps présent

il aime la voir éblouie aux avant-postes 

le cherchant dans la foule  sans le voir

le voyant quand même en fermant les yeux

fête 1 et 2

fête 1

il écrit elle chante miroirs parfaits 

ils ont l’éternité miracle sur l’instant 

on souffre de les envier

 ses courbes à elle son ombre à lui

 éclosent sur les places il fait les paroles 

elle enfante la musique 

sa voix coquelicot fait exploser l’avril 

sous les kiosques de mai aux roses froides 

elle étonne de ses mots sans égards

il se voit glisser sous les mains un piano de bazar

qui lui rappelle ses premières fortunes 

lorsqu’aux capitales il jouait pour trois sous

 elle l’aime cela s’entend aux syllabes

 elle croit en lui toi toi toi dit-elle en dormant

Fête 2

il l’apaise du plat de la main 

dans la nuit noire 

toujours il éclaire ses brusques  errements 

du bout des lèvres voix de gorge 

elle emprunte la joie non à son passé

  • même avec les pèlerins elle était une esclave – 

mais à ce futur qu’elle accueille

 oh les champs les bois les étoiles et le rire

 mon amie mon enfant dit-il en chantonnant 

elle se rendort il est son rempart 

il se lève s’attarde au café goûte au large pain  

l’inspiration précède l’aube il est lancé

 les paroles s’aimantent faciles 

charme des refrains qui vacillent autour de l’orient 

Voyage 7

ce sont des bras durs et doux

 des allégresses féroces des lèvres précises 

et les jambes galopent longuement 

tu as peur oui j’ai peur 

rends-moi mes mains 

je ne les veux que pour te ressaisir 

dis-moi encore l’enfance des lèvres mordues

 et l’âge d’aimer qui bouscule les cruels

 donne encore donne tes bras

 la longue épopée des plaisirs du moment 

ce présent qui n’en finit pas 

ce présent qui n’en revient pas 

cela existe solide depuis l’aube des temps 

nous devons le tenir pour vrai et même le chanter