Paris, et après

Et le souffle des jours a repris. Je note l’oubli commencé. Quelque chose s’estompe. Leur absence s’accroît entre les murs de mémoire ; leur pas bientôt ne pèsera plus. Manquent-ils à la chorégraphie brouillonne de la vaste ville, ces êtres sans futur ?

Restent les lieux sur lesquels on a couché des fleurs et d’hésitantes bougies. La pluie s’y met. Des barrières isolent les pans de rues où les passants s’arrêtent, là où les corps fusèrent. Les pneus frôlent les fleurs, soufflent les bougies. D’autres passants commencent à passer au présent de leurs corps affairé, la tête débordant de projets. Ils ont un futur.

La gauche vie et ses hésitations et ses balbutiements réenclenchent la langue toute faite. On dit étourdiment bonjour. Des paumes se serrent ; on en voit qui courent de nouveau vers leurs urgences, dossiers chauds sous le bras. Parfois ils agitent des mallettes lestées d’affaires qui les portent comme voiles vers l’horizon futur.

Un moment stupéfiée, la fébrilité des voix réemplit la rue ; l’asphalte qui fut ensanglantée est jonchée d’affiches noyées de pluie qui affirment qu’on n’oubliera pas. Des millions de doigts envoient des smileys, des rendez-vous. On reparle du temps qu’il fait, du temps de demain, on devine le futur.

Et après ? Je tremble encore un peu en buvant mon café. Les yeux vers la croisée, j’accuse le ciel qui n’en peut mais. Accroché à la tasse, je songe que c’est elle qui me tient. Ils ou elles reviennent en effet dans les gorgées du liquide noir, j’avale leur deuil du bout des lèvres, petite aspiration, puis l’ouragan qui les saisit m’embarque à nouveau de son aile balayant leur futur.

A cet instant leurs corps une nuit fauchés se pressent, viennent à ma rencontre et, écrivant, je dois céder à leurs absences hallucinantes, je veux les voir, j’invente leurs implorations, à ces suppliantes, à ces suppliants, je murmure des mots pour évoquer leurs silhouettes et leur vide aggrave le temps où ils viennent redanser un peu dans ma langue curieusement agencée, je les enrobe alors de langage comme on lange un nouveau-né, comme un peu de futur.

Les pauvres morts de Paris

Le mieux serait peut-être de se taire pour retrouver le malheur qui cogne si fort : les pauvres morts ne parlent pas. Les rejoindre dans leur silence, méditer, laisser monter ce qui fut leur présence.  Les moulins médiatiques brassent des paroles. Bien sûr il faut remplir le vide, c’est une manière de se défendre. Certains disent qu’ils prient pour Paris, pourquoi pas si c’est leur autre manière. Le langage peut y aider.

Je me tais.

J’écoute les battements de mon cœur, comme un hommage aux pauvres morts.  Je leur donne à entendre ma vie, mon pas ; leur souvenir bat à ce rythme. Je voudrais les serrer de plus près, ces anciens vivants qui étaient comme nous avant-hier. Je les vois avec leurs rires du vendredi soir, leurs mots d’esprit, leurs joies, et peut-être hélas pour certains leur ultime tristesse. Je les entends, j’entends leurs voix, leurs fourchettes, les verres tintent, je devine leurs yeux brillants dans la nuit. Je voudrais les serrer un par un contre moi, ceux qui sont morts, ceux qui vont mourir encore. Il me semble qu’on peut y parvenir si l’on noue sa gorge et qu’on prête l’oreille à la tiédeur de ce novembre.

Se taire c’est laisser aux pauvres morts de Paris toute la place de notre silence respectueux et qui dure.

Je ne ramènerai pas leur nombre à un signe mathématique : 129 ? 200 ? 300 ? Non. Ne pas les regrouper. Ils sont chacun une seule, un seul. Je sais bien qu’on les dénombre pour y voir clair. Je n’ai pas envie d’y voir clair. Leurs visages me flottent là-devant en un brouillard lumineux, écoulement épuisant. J’ai envie d’être épuisé d’eux. Je les vois.

Je ne m’ouvrirai jamais assez au respect de leurs visages.

A propos des textes compliqués (pour une défense de la confusion d’esprit)

J’ai montré ici combien les textes de Kafka pouvaient paraître simples à partir d’une innocence de lecture qui nous fait défaut (peut-être lit-on trop). On peut affirmer que la déduction transcendantale des catégories chez Kant est délicate à approcher, mais avec un minimum de logique et d’acharnement on peut y parvenir. De même les Postulats de la Linguistique présentés dans Mille Plateaux de Deleuze et Guattari réservent des surprises intéressantes et doivent pouvoir céder au lecteur attentif (et qui a du temps devant lui).

Parfois pourtant certains textes perturbent l’entendement le plus sagace. On peut essayer par tous les bouts, une phrase soudain résiste. C’est un chef d’œuvre d’humour absurde que l’on doit décrypter… souvent en vain.  J’emprunte au journal local de ce matin (29-11-2013) un exemple de ce type de phrase. Il y est question d’un assassin qui a frappé deux fois dans nos contrées (« Nous au village aussi l’on a/ de beaux assassinats ») ; le journaliste à la peine essaie d’approcher la compréhension de la parentèle du criminel et il écrit hardiment :

« Cette jeune femme, âgée de 26 ans, est l’ex-épouse du tatoueur et la compagne du neveu de l’ex-concubine de l’éducateur spécialisé. »

La confusion est aggravée par la situation actuelle des couples qui ne disposent pas de mots agréables pour dire qu’ils vivent et couchent ensemble. « Ex-épouse » on comprend, mais « ex-concubine »… outre que le mot sonne affreusement, à la limite de la vulgarité, on a du mal à comprendre dans le contexte : « la compagne du neveu de l’ex-concubine »… si l’on comprend à la première lecture on frise le tour de force.

Mais ce n’est pas grave. Les lecteurs de ces publications vivent eux-mêmes souvent dans cette confusion. Et c’est normal. La vie est compliquée pour les êtres dont le langage n’est pas le premier souci et loin de moi l’idée de me moquer de ces pataquès (cf. plus bas) pourtant drolatiques. Au fond le lecteur qui se régale rapidement de ce genre de fait divers (pas plus ni moins que le plaisir qu’on prend au journal de vingt heures) ne tient pas spécialement à comprendre. Il suffit qu’il s’égaie des malheurs des autres. Et les autres c’est toujours très compliqué, mieux vaut ne pas s’en mêler… et puis on n’a pas le temps. Le soir parfois, après deux ou trois tournées, des hommes solitaires échangent dans les bars où les lumières commencent à s’éteindre des théories fumeuses à partir de ces jalons confus. C’est simplement émouvant. Contrairement à ce qui dit Descartes du bon sens, c’est la confusion d’esprit qui est « la chose au monde la mieux partagée ».

 

 

Origine du mot « pataquès » (Wikipedia) :

« Un soir, au théâtre, un jeune homme est installé dans une loge, à côté de deux femmes du demi-monde peu discrètes et encore moins cultivées mais qui veulent se donner l’air de parler le beau langage en faisant des liaisons. Un éventail tombe à terre. Le jeune homme le ramasse et dit à la première :

« – Madame, cet éventail est-il à vous ?

« – Il n’est point-z-à moi.

« – Est-il à vous, demande le jeune homme à la seconde ?

« – Il n’est pas-t-à moi.

« – Il n’est point-z-à vous, il n’est pas-t-à vous, mais alors, je ne sais pas-t-à-qu’est-ce ? »

Le temps des couples (le conte de vivre)

Lui : Les couples se déchirent vite, consomment l’amour comme on le fait des viandes, des marchandises, rien ne tient, les mains se désembaguent au rythme des saisons, ils se hâtent alors de refaire la même chose, se jurent en étreignant la nouvelle autre qu’on ne les y reprendra plus et répètent le conte de vivre avec la même candeur spécieuse, le même automatisme qui les plaque sur l’horizon sans joie va du lit au boulot en passant par les transports, et quels transports !

Elle : Pas du tout ! Il est d’autres histoires ; la nôtre commence, patience, et les couples ne tournent pas forcément vinaigre ; je connais des mains qui tiennent leur faveur tête haute contre le temps. J’en connais qui ne lassent pas leurs yeux de l’autre regard et s’il le faut – ce n’est pas toujours – ils se séparent, s’éloignent un peu, empruntent un chemin de traverse pour l’un, une voie rapide pour l’autre, puis un matin les mains vides, bras ballants, bouche sèche, ils se recroisent, ils se revoient et du bout des doigts etc.

Lui : Cela n’arrive jamais ! Enfin peut-être mais notre temps est à l’excitation perpétuelle, l’adoration dure quoi quelques mois, allez trois ans je veux bien; un jour tu me diras on arrête et je ne serai pas surpris, un pantalon s’élime, une chemise s’effiloche, il n’est aucune cousette pour l’amour chahuté des désirs, trop sollicités que nous sommes par l’ailleurs des flatteries marchandes et les fascinations par écran interposé où la chair ne pèse rien, pur rêve qui tue le quotidien du lourd conte de vivre.

Elle : Je te l’ai dit mille fois, je t’aime en dormant, ce qui veut dire que c’est tout moi qui s’engage, ce n’est pas une lubie, je me sens respectée, et voilà que tu me disputes le droit de vivre avec toi sous prétexte que d’autres couples etc.

Lui : Je ne te dispute rien, je constate en pékin lambda qu’un couple sur deux… tu connais ça comme moi… c’est un conte, le conte de vivre à deux et je redoute la loi qui s’étale en cercles de plus en plus larges, genre : tes rides et ton sourire moins engageants, et ma peau qui cède et ta peau qui s’assèche et nos pas ralentissent et le limon des mensonges dépose sur nos visages la patine de la confiance perdue. Je ne veux pas cette légèreté grave de nos pas faussement complices parce que l’habitude s’y est mis comme on le dit de la rouille sur les ferrailles de la clôture.

Elle : Je vais te dire ce que je veux vivre : le poids des corps dans le décours des jours, un jour plus un jour, des semaines, des mois et pourquoi pas l’éternité, entre brosse à dents et liste de courses oubliée, entre pièce pour le caddie et découvert à la banque ; toutes ces mains qu’on serre dans la rue et mes paumes qui tiennent tes joues serrées pour que ton visage heureusement réduit vienne faire son nid dans ma mémoire, douceur de ton velours contre mes lignes de vie et pour finir la morsure des pupilles, or qui jamais ne s’usera et qui vient susciter parfois jusqu’à l’aloi des larmes. Pourquoi ce sont toujours les femmes qui chantent cette résolution où tout avance contre le temps à force de volonté crue ?

Lui : Je ne pense qu’au chemin dépeuplé, au bitume allumé du couchant, à la mauvaise foi du fleuve, ce temps où je te touche n’est bientôt plus que perle éteinte, j’attendais une valse et c’est un tourbillon de calendrier gris chaque fois que deux assiettes cognent, cet éclat de porcelaine sur le pavement de la salle où tu te tiens, ne pose pas ton pied, n’avance pas, je n’ose pas dire, je n’ose pas que veux-tu, l’océan du futur me semble un antarctique…

Elle : Voici le conte de vivre. Il était une fois une peau musicale en un seul exemplaire qui décida un jour d’élan de toucher une autre peau, aussi désirante, aussi unique, aussi douce, il y eut des paroles, un flot de mots pour tout dire, parfum de voix qui nimbe les amants, et une fois la peau touchée il n’y eut plus rien que l’écoute et depuis ils vont errant par les chemins vers la quête de ce trop qui n’est jamais assez. Les arbres inclinent leurs cimes ; les genêts s’inquiètent lorsqu’ils accélèrent le pas, ce n’est pas normal disent les fusains, preuve de décrue murmurent les bruyères. Les bouleaux qui savent sourient : « Ils ont hâte de s’embrasser et cherchent un abri, voilà tout », et mille feuilles de s’affoler au plein des halliers, c’est un rire qui circule de branche en branche, mimant par défi l’écrasement des vagues universelles. Leurs amours sont touchantes à cause du hasard, des yeux un jour croisés, puis perdus, puis retrouvés, mon amie je ne te savais plus si belle…. Et toi non plus dit-elle sans parler, prenant sa main pour la porter à ses lèvres : elle saisit le plein de sa paume, y enfouit le bas de son visage, rêve, dit enfin « jamais » pour dire jamais plus nous ne nous quitterons. Car ce qu’ils trouvent dans ce conte d’amour est aussi simple qu’un enfant solidement campé : ils n’ont plus peur. En accomplissant le chemin de la paume vers les lèvres, de la bouche vers la bouche, ils ont fait le plus grave, et les jours ont beau être ordinaires, hantés des chicanes trop humaines, ils savent que quelque part il est là, qu’elle est là, qu’ils s’attendent au plein du conte de vivre.

Lui : Garde ton joli conte ; permets-moi de hausser les épaules et si tu les croise salue- les de ma part !

Elle : Si nous le voulons, idiot, c’est nous bientôt !

Pas de cadeau (comme une suite à la question sur le jour de l’an)

Le temps ne connaît aucune trêve et donc nous fabriquons avidement des moments monuments, anniversaires, 14 juillet ou son équivalent déprimé du 11 novembre, dates des morts, et nouvel an évidemment. Ce dernier est étroitement lié à noël, lors de la renaissance du jour : les étrennes sont des dons que l’on fait passer par le père noël pour que les enfants n’éprouvent pas la culpabilité des cadeaux achetés par les parents. L’invention du père noël est récente. Le don aux enfants à la fin de l’année est très ancien. La religion l’a récupéré sous la forme des rois mages qui offrent des parfums à Jésus.

Pascal Quignard encore (« Les Paradisiaques », P. 97 et suivantes) : « Strenae est un vieux mot sabin. Suétone dit que ces petits dons étaient de bon augure pour commencer l’année. Il s’agit donc d’un sacrifice qui cherche à étrenner le temps à l’aide de petits cadeaux afin d’attirer les jours dans le neuf et d’empêcher la régression temporelle et la réitération de l’hiver… Les étrennes étaient aussi appelées dons de l’Avent. Avent n’est pas un mot descriptif mais énergique. Adventus est actif : qui fait arriver, qui pousse l’année, qui fait advenir les pousses. »

On voit que ce don ouvre avec optimisme sur l’année nouvelle et s’il m’est arrivé de n’avoir parfois aucun cadeau à noël, ce n’était pas cruauté consciente de mes parents, mais seulement l’idée ancrée en eux qu’il n’y avait rien à espérer de la vie. Ils avaient connu la guerre civile ; la dépression mondiale 1940-1945 résonnait en eux comme une vibration sourde, irrépressible. Et pourtant ils me firent un don : la vie.

C’est ce don qui est répété autour de la nouvelle année avec  la lumière qui revient. Offrir des cadeaux aux enfants, c’est leur rechanter ce don que les parents se firent dans le lit conjugal. Sans doute mes parents n’avaient-ils pas eu la chance d’éprouver quelque joie de vivre et leur désabusement se traduisit parfois par des chaussons vides, ou plutôt ces années-là nous ne mettions pas de souliers au pied de la crèche ou du sapin, ainsi aucune déception.

Étrenner, c’est mettre un vêtement neuf, essayer une nouvelle peau, se réjouir d’un cadeau qui a sans doute pour nom premier « naissance ». Si la vie ne fait pas de cadeau, ainsi que j’ai pu le vivre, il est difficile de remonter la pente, de croire en la vie. On y parvient cependant peut-être plus librement que si l’on a été doté de cadeaux princiers : chaque jour est un jour de l’an (ce qui est la vérité) et donner, offrir, m’a toujours paru une évidence. À mes yeux le jour de l’an précédé des étrennes n’est qu’un cas particulier d’une attitude générale qui consiste à donner. Recevoir – sauf à la boxe – n’est pas si délicat que les moralistes nous le font accroire. Il suffit de tendre la main. C’est donner qui est la seule attitude possible. Donner c’est donner de la voix, donner à rêver, donner à penser, donner des sourires, donner à être au milieu du monde pour le chanter encore. Le reste n’est que dogme pour les pauvres d’esprit.

Qu’est-ce que le jour de l’An? (étonnant Pascal Quignard)

En 2005, Pascal Quignard nous gratifia de deux livres du « Dernier Royaume » (œuvre qu’il poursuit avec un acharnement admirable) qui ne cessent de danser sous mes yeux ; la parution récente de son livre sur les « Désarçonnés » m’a subjugué au même titre, mais je voudrais parler des deux volumes qui parurent cette année là : « Les Sordidissimes » et « Les Paradisiaques »… Ils sont proposés en folio, parmi des centaines d’ouvrages sans doute fort estimables… Pascal Quignard a  l’immense avantage d’être vraiment cultivé, alors que bien des fictionneurs cités dans la suite des auteurs folio sont avant tout des êtres passionnés par leur propre imaginaire et qui pour la plupart se moquent bien des temples du passé, ou se contentent de clichés.

Rien de tout cela chez Pascal Quignard ; à le lire, on sent immédiatement que l’on a affaire à un styliste de haut rang doublé d’un érudit merveilleux.  On sent qu’il a horreur de la pédanterie et qu’il s’amuse même de son érudition pour en faire tout autre chose que ce qu’on en fait par exemple à l’université. Il s’intéresse à des auteurs presque oubliés et les arrange à sa manière qui rappelle irrésistiblement Montaigne ou Borges.  Je défie quiconque se lance dans la lecture de ces deux ouvrages de n’être pas saisi par la destinée troublante  de Marie d’Enghein, épouse d’Albert de Cany, qui connut une aventure peu commune et qui est contée par notre auteur avec force détails impressionnants (« Les Paradisiaques », chapitre XXIII et suivants), et où le bâtard d’Orléans, compagnon de Jeanne d’Arc, apparaît dans un détour inattendu et tout compte fait stupéfiant. Je songe également à ce passage des « Petits traités » (ces écrits antérieurs sont les prodromes de cette œuvre qui fera date) où l’on voit Clovis entrer dans l’eau de son baptême par Saint Rémi, comme si l’auteur avait été présent et s’en faisait le conteur objectif (quel humour de haut vol !).

Il convient de faire un sort à l’érudition : celle-ci n’existe le plus souvent que comme un cache-misère à la pauvreté d’esprit de ceux qui ressassent le passé. Ici, rien de tout cela. La vie nous est plus réelle que notre propre vie, et Pascal Quignard s’amuse de nous, comme il se rit de l’histoire pour nous faire pénétrer dans l’intime de chaque personnage qu’il évoque. On n’est plus dans l’histoire, ni dans l’érudition, on est dans la chambre à coucher de ceux qui firent l’histoire ou qui en furent les jouets, on demeure dans l’intime, on est au plus près des personnages du passé qui nous sont si proches. Des fictions réelles succèdent aux fictions vraies, le conteur est habile, tranchant et modeste, presque à regret. Tout est sérieux, amusant, drôle, comme ce chapitre XX des « Sordidissimes » intitulé : « Sur la braguette saillante des Portugais en 1542 » qui à lui seul est un résumé de l’humour tempéré de notre auteur (qui passe pour un raseur morbide ?!) et forge sous nos yeux une œuvre qui comptera parmi les plus importantes de notre siècle.

Voici ce qu’il dit dans ce même chapitre du jour de l’An (« Sordidissimes » pages 80 et 81 de l’édition folio) :

« Il n’y a pas que la mort des humains qui compte dans le déroulement de la vie des hommes. Plus périlleuse que les morts des humains il y a la mort de l’An. À la Neuville-au-Pont dans la Marne on sortait ce qu’on nommait le « balai de silence ». Avec le balai de silence on barbouillait de boue les fenêtres de maisons et les figures des femmes avant de les asperger de paille d’orge et de paille d’avoine.

Tout ce qui purifie est interdit dans le dernier jour de l’année comme il doit l’être dans la maison d’un mort. Tout est voué au sordide. Il ne faut plus balayer, il ne faut plus jeter les ordures, il ne faut plus récurer la batterie de cuivre, il ne faut plus polir le miroir, il ne faut plus crier, il ne faut plus se raser, chanter, siffler.

Il faut se couvrir d’ordures afin de rester dans la marge du groupe. Dans la laisse de la mort. Dans la marge de janvier ou de mars. Dans la marge du jeûne consenti au Dieu mort. Carnaval et Carême se battent.

Gras et Maigres s’étripent comme Vivants et Morts.

Depuis la préhistoire Rouge et Blanc s’affrontent. Chair et os, joie et détresse luttent. Printemps et hiver se font face. Ils s‘entretuent. Il faut que le printemps gagne. »

Outre que ce passage décrit avec sécheresse ce que l’on voit si bien exploité dans les tableaux de Breughel, on entend bien les résonances de ces tabous du dernier jour dans nos affaires présentes. L’An et les bonnes résolutions, ce dernier jour où la télé ressasse les erreurs de l’année et où nous-mêmes aux prises avec cette superstition nous déblayons le passé, ravis d’en avoir fini avec ce temps qui nous charge les épaules ; sorte d’examen de conscience dans la stupeur, on se défait de lui, espérant qu’au premier de l’An le jour sera meilleur, comme on part en voyage avec l’illusion de renaître plus jeune, loin, mue spectaculaire vers le pur( ?!) et où le nouveau chiffre de l’an chasse nos angoisses profondes, dues à la persistance du passé forcément sale dans le présent.  À la vérité, ce soir là, nous dansons et chantons sur la mort qui s’approche chaque jour, mais celui-là plutôt qu’un autre à cause du changement de chiffre. C’est un jour bilan, et que l’on suive la tradition ou non ne change rien à l’irrésistible besoin de nettoyer l’impur( ?!). Il reste que le 31 le jour se cabre.

Je cite cet exemple du jour de l’An pour montrer combien Pascal Quignard peut nous aider à relativiser nos émois et nos aventures quotidiennes. C’est en ce sens que ses récits sont sagesse.

Un message du Mont Fuji

J’interromps la publication de « La montagne couronnée » (on ne s’écarte cependant pas du sujet !) pour donner à voir un phénomène étonnant : ma fille Lucie m’a envoyé hier soir à minuit une photo du soleil levant. Elle avait fait l’escalade du mont Fuji et m’a envoyé depuis les hauteurs ce document (on peut envoyer des messages depuis 3700m d’altitude !); elle m’annonçait ainsi que le soleil était bien en train de se lever et que je pouvais dormir tranquille, il allait arriver quelques heures plus tard dans nos contrées. Ma nuit a été nuageuse et cependant très douce. Depuis le Pays du Levant (Nippon signifie : « lieu d’origine du soleil ») me parvenait ainsi en direct un signe magique irréfutable.

Scientifiquement  c’est pure illusion ; cependant nous savons bien nous que le soleil se lève : il en manquait la preuve, la voici. Car ce matin, quand le soleil s’est levé avec moi, j’ai pensé : oui, je sais, je l’ai déjà dans mon ordinateur. Ce phénomène qui fait sourire les esprits forts, a une grande importance dans nos vies. Nous avons beau savoir que le soleil est immobile, nous vivons réellement dans l’illusion que son lever est semblable au nôtre. Toutes nos autres activités sont peut-être alimentées par une superstition du même ordre.

Le village français

Il semble que nous, Français, soyons passés de l’agriculture à l’ère informatique sans avoir adhéré au monde industriel tel qu’il se clôt sous nos yeux. Le village est demeuré collé à nos semelles. Il y avait eu au moyen-âge « dans l’œil du serf l’aplomb du château féodal » (A.Breton), puis à l’époque moderne des milliers de parcelles, des bouts de terre pour chacun, des fermes, des villages, enfin rien qui fût du domaine de l’entreprise : le patron nous a toujours dégoûté. On peut penser que Colbert avait jeté les bases d’une industrie pour paysans (dirigée par l’état) et que nous y sommes restés.

L’aberrante utopie communiste a perduré chez nous au delà du raisonnable parce qu’au fond la cellule du parti était l’écho citadin du village au catholicisme lourd et dont le communisme fut la dernière hérésie (F.Mauriac). Bien sûr il a fallu se mettre à l’industrie ! La période 1850-1950 est l’histoire chaotique et violente de cette mise au pas des pékins qui durent apprendre à traverser dans les clous. Que de réticences à admettre ce qui fut l’évidence chez nos voisins du nord ! Nous n’avons connu (et la colère continue!) que des syndicats sans compromis, des ouvriers râleurs, des grèves, des patrons pleins de mépris et plus généralement un surprenant dédain affiché pour le travail manuel.

Le village mythique de Brassens et celui très réel de François Hollande ne cessent de hanter nos appartements, nos résidences qui mordent toujours davantage à l’extérieur des cités. Le poète aux semelles de vent se voulait « paysan », chantait « la terre à étreindre » en plein développement de l’industrie. Toujours révoltés, jamais en paix avec le temps de la fabrication des marchandises, nous avons avancé de biais, regrettant l’avant, ancrés sur nos origines terriennes et méprisant cependant depuis Paris les paysans décidément bien arriérés ; pays touchant, embourbé dans ses contradictions, conservateur au plus profond et prêt à descendre dans la rue au moindre prétexte. Si l’on tend l’oreille vers l’arrière, on entend des cris, de la rumeur, des fusillades, l’air est bancal, on a l’impression qu’il l’a toujours été et qu’il va le rester. Avant 1789 on aimait le roi… et les jacqueries se succédaient, piques et fourches en avant contre une puissance jamais reconnue… et adorée pourtant.

Le charme de ce pays est dû à une agriculture particulièrement favorable qui, produisant cette prodigieuse richesse, a permit partout l’édification d’églises, de châteaux et de monuments divers… ce qui fait sans doute aujourd’hui de notre pays (pittoresque pour tourisme) le bout de terre que les gens du monde entier rêvent de visiter. Déphasés, contradictoires, nerveux, nous faisons visiblement des envieux alors que notre péninsule avance désamarrée ; on entend des regrets, de la nostalgie… il est urgent de penser à notre futur européen, de rêver hors de nous un continent élargi, songeant que notre village représente peut-être la matrice légendaire d’un bonheur possible au beau milieu d’un univers citadin désenchanté.

NB: Pour illustrer cet article j’aurais pu prendre, comme Mitterrand en 1981, un village avec clocher. Mais Lucie m’a envoyé de Tokyo cette photographie d’une statue qui représente un paysan – on le voit au fagot qu’il porte sur le dos, c’est en quelque sorte le bûcheron de La Fontaine – habillé de ses vêtements rudimentaires traditionnels: il tient à la main une liseuse (e-book)…

La mutation: situation de notre temps

Il m’apparaît délicat de juger de la situation de notre temps : les vieux disent forcément des bêtises. La plupart va répétant par les rues que c’était mieux avant ; rien de plus évident puisqu’alors nous étions jeunes, que notre regard sur le monde était porté à partir d’une énergie que nous n’avons plus ; les rues, les visages, le miroitement des toits, du fleuve et même les monuments anciens, tout nous apparaissait à travers le prisme de notre corps encore peu lesté des routines (qui froissent les muscles et font les regards usés). Je me souviens que la mer était jeune, le ressac toujours tranchant et le vent du large ne bousculait jamais ; il s’écrasait à nos pieds projetant quelques grains de sel, de sable, qui piquaient les mollets : on tenait bon.

Nous emportons tout avec nous (Montaigne), aucun jugement n’est exempt de relation avec le corps et ce que je dis est forcément lié à l’âge de mes artères. Ma prudente sagesse en outre, toute habile qu’elle puisse être, est débordée de partout par les eaux de l’inconscient, de ma culture, du long passé enté en moi. Les nuances perçues sont grisées des nuits mal dormies et des novembres traversés dans la stupeur.

Je m’abstiendrai d’affirmer que c’était mieux avant. La seule chose que je puis dire est que c’était différent. Radicalement.

Je me souviens du pas des chevaux, de l’absence des téléphones, de l’étrange rareté des salles de bains et des rappels de la guerre dans les ruines de la cité. Les amours étaient hantées du danger de dieu, de la culpabilité des étreintes et de la perte d’une enfance pas drôle : la peur guettait sous mes pas ; les massacres encore frais envahissaient ma cervelle encombrée de préjugés.

Ainsi avons nous à peu près vécu. Vers la fin du siècle, une modification capitale fit basculer notre âge : l’informatique s’installa largement dans nos vies, les frontières pour les marchandises tombèrent et comme jamais depuis le néolithique, une rupture de notre contrat avec le passé, la terre, les rêves et les nuits enfonça son séisme à l’intérieur de nos corps déjà murs. Le monde entier s’infiltra dans nos pays et nous nous écoulâmes dans le monde.

Avoir pris de l’âge dans ce monde coupé en deux manières de vivre nettement différentes accentue le sentiment naturel de vieillissement du corps. Rien ne ressemble à ce que j’ai connu, nous avons vécu un vertigineux décollage civilisationnel. Toutefois je me demande si je ne projette pas le changement de mon corps sur cette mutation et si je ne l’exagère pas pour donner une importance à ma petite vie. Il me semble que non et dire que tout s’en va, a moins à voir avec mon âge qu’avec une réalité têtue. Le tout est de ne pas tomber dans le défaut décrit plus haut : c’était mieux avant ! Non, décidément non. Le plus difficile pour nos chefs blanchis est d’admettre que c’est ainsi et qu’il convient de suspendre son jugement, car que savons-nous des temps à venir ?

Le monde n’est plus moderne : cela laisserait entendre qu’un lien persiste avec le monde ancien. Mon corps presque âgé se souvient cependant du moderne finissant avec une nostalgie bien tempérée dont ce style contourné est le lointain témoin. Ce couchant avait ses douceurs.

J’envoie au monde neuf mes souhaits de bienvenue : les enfants sont heureusement protégés, souvent propres et causants ; les villes ravalées pour les décennies à venir avancent leurs proues sous le ciel rayé des avions intercontinentaux et mon corps près de finir salue avec prudence les nouveaux bonheurs qui guettent dans ce présent fragile, trop frais encore pour dire ce qu’il en sera des malheurs. L’ancien monde n’était pas si cultivé que les blanchis l’affirment puisqu’il fut ramoné jusqu’à l’os par la barbarie. Pas de regrets. Et la question se pose naïve et fraîche : pourquoi tourner la page serait-il une régression ?

Un dessin pour une occasion particulière

Ce dessin a été réalisé par Lucie qui tenait à manifester concrètement ses vœux d’anniversaire. Il s’agit de la reprise au crayon d’une statue de Charles Degeorge (XIXème)intitulée: “La Jeunesse d’Aristote”. Ce cadeau est particulièrement astucieux dans son choix et habile dans sa réalisation !! La vie de l’esprit a en effet toujours cette jeunesse éternelle !

Une petite parenthèse anniversaire (Deux ans!!)

(Je voudrais saluer ici les 26000 clicks (!!!) qui vinrent me rejoindre dans ce site durant les deux années qui viennent de s’écouler.  Car ce site ne propose en réalité aucune description de ma vie quotidienne, ni aucun avis bien tempéré sur les dérives de nos morales, ainsi qu’il sied à tout blogueur digne de ce nom. La seule chose que je propose ce sont des textes… j’en suis désolé… Je remercie les courageuses et courageux qui eurent l’audace de clicker une fois sur ce site. Ah oui, j’ai commencé la publication des “soirées de l’équinoxe”.. donc on continue… demain sans doute! Merci encore à tous! On me permettra enfin de rendre hommage à LeNep sans l’aide technique duquel rien n’eût été possible!! Bravo à lui et à son soutien permanent. Merci!)

Japon: crainte et tremblement

Ma chère fille,

 

Nous t’avons déposée à Roissy il y a huit jours. Tu prenais l’avion pour Tokyo. Nous étions innocents souviens-toi, je te disais à quel point ce voyage était initiatique puisqu’il allait te faire découvrir la solitude de l’âge adulte ; ton séjour d’un an au Japon, il y a deux ans, était très encadré, avec étudiants de tous les pays du monde, alors que celui-ci devait clore tes études de cinq années, seule, avec ton sujet choisi, enfin un paysage magnifique s’ouvrait à toi, tu allais pouvoir t’affirmer comme personne au monde. J’étais heureux, nous étions heureux pour toi, je peux te le dire, malgré la tristesse qui sépare les parents d’une enfant de 23 ans qu’on aime et qu’on choie, et qu’on adore en secret parce qu’il ne fait pas bon charger trop la barque de la psyché.

Nous t’avons éduquée dans un monde sûr : tel objet avait bien sa place ici et pas ailleurs, il n’était pas possible de changer l’endroit de la maison, la vie avait un sens et un seul, aucun être au monde ne pouvait faire dévier la droite voie que nous avions avec tes frère et sœur organisée autour de toi. Il n’était aucune insécurité que nous n’ayons prévue, la vie avait des reflets de vagues qui reviennent avec une régularité délicieuse de métronome. Tu vois, nous étions confiants en t’abandonnant aux élégantes machines mécaniques qui, imitant les oiseaux, franchissent avec ironie et mélancolie (presque) les abysses glacés de ces hauteurs béantes. Nous nous disions qu’une famille japonaise t’attendait à Osaka, qu’au fond ton séjour à Tokyo devait être un intermède passionnant, oui, la ville des rêves, l’ultra ville où la vie postmoderne s’incarne plus qu’aux USA (que tu connais très bien) parce que justement c’est de l’autre côté du Pacifique et qu’on dirait que le Japon s’ingénie alors à en rajouter dans l’exposition de notre condition. Enfin nous étions tristes mais ravis, évidemment, qui ne le serait ? Nous avions déposé candidement à l’intérieur de toi des vérités sur la stabilité du monde, sur le sens de la vérité, et je me souviens même d’avoir insisté sur le projet cartésien de l’homme qui va se rendre maître et possesseur de la nature. Je te disais alors avec une conviction non feinte que l’homme était parvenu à poser sa grosse patte sur la nature et que rien, vraiment rien, ne pouvait jamais nous faire revenir en arrière. Seule la guerre, avec son cortège obligatoire de barbarie, pour nous ridicule, aurait pu nous faire changer d’avis.

Et puis voilà, tout bascule. La vie naturelle vient mettre son veto, ta vie devient un destin exposé au pire et je le sens bien à travers tes propos et ton deuil, ta juste rancœur que je comprends. Tu es à Osaka. C’est-à-dire au sud, loin de tout danger évident. Tu as dû abandonner ton amie qui t’avait offert un logement provisoire là-bas, à Tokyo. Tu t’es sentie lâche. Je le sais. Tu as eu un sentiment d’abandon de ceux qui estiment ta personne, tu as dû prendre le chemin du recul ; je te sais énergique et déterminée et je partage ta désolation.

Mais voilà, le monde tranquille que nous te promettions, hors tremblements, s’est métamorphosé en un enfer très réel qui vient bousculer toutes tes certitudes. Et les Japonais, si calmes, si pleins de sang-froid, te sont un modèle de comportement ; regarde-les bien, ils sont tellement utiles pour assumer justement ce que tu cherches : le calme intérieur malgré les dangers. Tu vas devoir rentrer, les autorités françaises t’y obligent. C’est bien. Tant mieux. Pour toi j’entends. Mais n’oublie jamais ce que tu as vécu à Tokyo, ce tremblement qui est une métaphore de la vie incertaine qui nous est allouée. Ces deux minutes d’un monde en mutation féroce te seront un exemple de la vie qui ne tient tout compte fait qu’à un fil très étroit, fragile, exposé, et où il convient de préserver ce sang qui nous bat au cœur, ce presque rien que nous sommes, ma chère fille. Voilà ce que nous sommes, j’en suis persuadé. Mes mots se perdent dans un murmure troublant, je le sais aussi.

Et pourtant, tes amis du Japon, eux, sont au péril. Toi, tu vas rentrer, tu vas revenir, les autorités de notre pays l’exigent. On ne peut leur en vouloir. Mais tu voudrais tant rester. Ne t’en fais pas, tu y retourneras. Tu n’as pas peur. Je t’encourage à y retourner, toi qui est si française, ils auront besoin de toi et tu sens bien que tu pourras leur être un jour prochain d’une quelconque utilité, quoi que tu fasses. Tu as bien fait de choisir cette culture étonnamment différente de la nôtre, car seul le différent peut nous ouvrir à notre propre identité. Tu sauras désormais qui tu es. Admets le mouvement de l’avion qui te ramène au pays, c’est un moment tragique, une suspension du temps. Reviens, puis repars là-bas le plus vite possible, dans ta seconde patrie, dans quelques temps. Nous sommes avec toi. Tout notre amour t’accompagne.

Domenech

C’est un défenseur de métier. Il n’a jamais vu le foot autrement. Il est de la défense, de la rétention, du stade anal, de l’obsession de ne pas se faire avoir (prendre un but). Il est coincé. Lorsqu’il parle, c’est du bout des lèvres, il ironise mal et de biais, comme s’il avait la terreur d’être pris pour un imbécile. Il est constipé. Il est typiquement obsessionnel. Il lui manque la dimension hystérique qui lui ferait prendre des risques. Il a horreur des risques. Il s’est fourvoyé dans le foot, il aurait dû être ministre du budget, compter les sous. Il ne sait rien faire que par calcul. Il ne sait pas bouger, il est triste, il ne sourit que faussement, comme un chinois perdu dans notre Landerneau. Il a été contraint de prendre Diaby, sans doute le joueur le plus fou, le plus fort, le plus malin; mais RD justement ne l’aime pas car il est imprévisible et rien n’est plus agaçant pour un psychorigide que quelqu’un qui invente. RD croit que le foot est calcul, construction préalable; il ne voit pas que c’est mouvement, glissade de niveaux, liberté, liberté, liberté. Il en pince pour Govou – totalement inefficace – parce que Govou est brouillon, parce qu’il n’a aucune invention, aucun esprit de finesse, c’est-à-dire que Govou lui ressemble.

Pour marquer des buts il faut de l’imprévisible, de la fantaisie, de l’improvisation, du neuf, du toujours renouvelé, de l’esprit d’à propos, de la liberté de bouger, de la vision sur l’instant… toutes qualités que RD déteste car il n’aime pas la VIE. RD c’est “la mort, la mort, la mort, toujours recommencée”, il a une terreur folle du TEMPS, et de la LIBERTÉ. Il transforme le foot en arrêt sur image.  RD pense: “Je hais le mouvement qui déplace les lignes” (Baudelaire). Le mouvement, c’est-à-dire la vie, le délire, l’invention, la beauté du présent tel qu’il se présente, la fluidité du temps qui s’écoule, la souplesse de l’inventivité constante.

Que dire de quelqu’un qui conçoit le foot comme un jeu statique? C’est un fou. Il en est resté au baby foot. C’est un enfant qui n’ose pas le dire.

Ce n’est pas un hasard si la fédération a choisi un type pareil. Ils étaient horrifiés par la coupe du monde remportée en 98 ( c’était un hasard ; Aimé Jacquet était, hélas pour eux, un faux imbécile très intelligent). Tétanisés qu’ils ont été ; ils ont eu beaucoup de mal à s’en remettre. Ils ont donc pris le plus stupide exprès. La France n’aime pas la gagne. Poulidor plutôt qu’ Anquetil. La gagne ce n’est pas égalitaire. Quelqu’un qui gagne (de l’argent, de la gloire) ce n’est pas égalitaire. Or, les Français sont obsédés par l’égalité (voir Tocqueville, Chateaubriand), ils détestent au fond les grandes vedettes richissimes (ils s’en moquent constamment, les jalousent), car elles leur disent: vous ne serez jamais comme moi. Quoi de plus scandaleux dans un pays d’égalité que de constater que l’on puisse gagner un jour, parce qu’on est différent? C’est impossible. Ce pays n’est pas fait pour ça.

RD est donc parfaitement à sa place.

Lenep

En ce jour un peu particulier, je reçois des encouragements à continuer.

Je me permets cependant de joindre ce même jour un grand merci à Lenep qui a permis la fondation de cet instrument particulier et qui a eu la patience de glisser ici ou là une musique ou un document PDF qui offre la possibilité à cet site d’avoir un peu plus de corps. Je voudrais le saluer et manifester envers ses étonnantes compétences tout le respect qu’elles méritent. L’aventure continue, mais il faut savoir que sans Lenep rien n’eût été possible. Grand merci à lui.

Un anniversaire

Dieu soit loué je ne suis pas superstitieux, mais il faut bien fêter les un an – les un an sont une formulation très absurde – de ce site où j’ai déposé à ce jour trois cents textes tout juste.  Et puisque je suis dans les chiffres, dates et autres calculs, je tiens à remercier les près de 16000 clics qui vinrent me rejoindre dans mes ombreuses rêveries durant toute cette année. 15951 pour être précis. Ce que ces clics veulent dire, c’est que ma foi il semble intéressant à bien des lecteurs de consulter mes proses et tentatives poético-artisanales, sans oublier le théâtre et ses marionnettes articulées comme la langue. Je signale aux esprits chagrins que j’ai bien l’intention de continuer à envahir l’espace virtuel.

Je tiens à remercier vivement tous ceux qui sont venus me rejoindre dans mes fabrications contournées aussi bien que dans mes affirmations candides et autres réflexions bizarres. Vous m’avez été très précieux. En espérant procurer toujours le même agrément, j’adresse à mes dicrets lecteurs l’espérance d’une existence remplie par la vie de l’esprit.