cabane
je vois la cabane qui tremblote
ses fondations se fendent dans le silence
glacé du lac où virevoltent encore
les chants lointains de juin et les souffles d’octobre
je serrerai mon écharpe aux bourrasques de mars
bien sûr mais tout l’hiver désarmé
à cru la musique va s’éteindre sans source
elle va se cacher des azurs lourds d’averses
me voilà hérisson recroquevillé chantant
sous les feuilles l’hymne que l’on connaît
le chant préserve du feu du froid
et de la lente et longue peine aussi
mes lèvres s’essaient en divines voyelles
aux rives du lac désormais déchiré
zébrures anarchiques où j’attends
que les vents aient dévoré semaines et mois
un jour le ciel admettra que c’est trop
le tiède fera loi caressant les feuilles mortes
je m’exhumerai alors de ma cabane
me surprendrai à imiter le retour des oiseaux
j’en profiterai pour cimenter mes appuis
c’est ainsi qu’on sifflote en avril
soucieux de protéger les ans des cataclysmes
et des froidures crevants du présent blanc
alors le chant seul avec le monde
redira le chemin chaud qui mène au lac
où les voiles vibrent sous la brise tranquille
Le petit hérisson devrait hiberner jusqu’au printemps. La saison est mauvaise et le lac bien inhospitalier. La cabane ? Pour contempler les oiseaux, la grande Ourse et la petite Ourse ?
Sans oublier Saturne qui, inoubliable lumignon, se promène actuellement du côté de la lune.
La saison est exécrable, ne touchons pas aux feuilles; pour le patinage sur le lac, il vaut mieux éviter. Merci Christiane.
Saturne à côté de la lune ? Ah ça je vais guetter dès qu’il y aura moins de nuages !
“Le silence”, et juste en dessous, “glacé du lac”. J’ai été surprise. Quel est ce lac qui revient si souvent dans vos poèmes ?
Ah oui Christiane… le lac. Les édiles, dans leur sagesse cruelle, se sont avisés de faire un lac près de chez moi (20km). C’est une très belle étendue d’eau avec voiles parfois et une piste verte alentour; quand il fait beau, c’est un coin de paradis, cerné de collines vertes, avec golf, hôtel de luxe et c’est un lieu de tout repos avec piscine, on n’y mange pas si mal.
Avec mon traducteur et notre illustratrice nous y sommes allés une fois, mais curieusement, il faisait si beau, il faisait si doux que la poésie s’en est mêlée; pas n’importe laquelle, c’est sans nous consulter, Helmut et moi, que nous avons récité presque ensemble “Moitié de la vie” de Hölderlin. (“Vous cygnes ivres de grâce plongez votre col etc….)
A deux pas comme bien vous vous en doutez, des cygnes plongeaient leur col etc. C’est alors que le poète allemand et moi-même avons engagé une conversation sur ce poème, admirant la part romantique de la première strophe, et l’angoisse profonde de la deuxième strophe. L’opposition automne- hiver étant la structure et la forme du texte. Nous nous sommes longtemps attardés sur le dernier vers du poème: “Dans le vent grincent les girouettes” qui dit la folie approchante de Hölderlin. Avec une prémonition stupéfiante dans ce poème de deux strophes égales, le poète fait le bilan de ses années avant 1800 et PREVOIT sa folie à venir sous formes de questions angoissées et pressantes:
“Où vais-je prendre
quand viendra l’hiver…”
Terrible seconde strophe que nous récitâmes au bord du lac en croquant des pommes que notre illustratrice avait décrochées. Mais je confonds un peu car les pommes, c’était bien après mais pas très loin, à deux pas d’une abbaye cistercienne en ruines explosée (par les allemands) en 1917 , tout en bas du Chemin des Dames.
Mais je ne vous ai toujours pas dit la clef du lac. Je n’ose vous la donner car elle me crève le coeur; c’est ceci:
les édiles en faisant le lac, en l’inventant, ont recouvert une bonne partie de la vallée de l’Ailette qui fut un des lieux les plus disputés de la guerre 14-18. Sous le lac, gisent sans doute encore des milliers de corps d’enfants sacrifiés. Sous l’eau du lac, c’est la jeunesse de 1900 qui s’envase lentement.
Lorsqu’il fut question de faire de ce lieu de culte un lieu de plaisirs, je vous avoue que j’ai souffert. J’y allais de ma rancœur facile contre le temps du plaisir contre le temps du souvenir: ils ne respectent rien, ces sauvages du tourisme, etc. Et j’ai changé d’avis. Comment mieux dépasser l’ignominie? Quelle plus belle image de l’être humain? On se massacre et on en fait un petit paradis. Dès qu’il fait beau j’y vais. Tout en haut de la colline le cimetière nous regarde jouer au golf ou faire de la bicyclette. C’est un hommage.
Si bien que le lac avec ses morts deux fois engloutis, avec ses vivants joyeux, est devenu une manière de lieu-mythe qui revient régulièrement dans ma tête fragile.
Je crois avoir vu Saturne dans une percée de nuages à côté de la lune toute brillante.
Aujourd’hui 16 décembre j’ai 74 ans; comment faire mieux en cette occasion que d’évoquer Saturne. Ce soir j’irai emmitouflé dans mes pulls saluer l’astre; il devrait rôder quelque part du côté de la lune au dessus… Les anneaux me fianceront avec le temps passé. Autant d’anneaux autant d’années.
Tout ça de vous et de votre mémoire en deux commentaires… J’avais eu l’intuition que c’est dans les strates du passé que le lac cachait sa mémoire. Certains veulent ne pas oublier, d’autres veulent oublier. C’est ainsi avec ce qui fait mal…
Au loin les astres et la terre si petite dans ce grand espace silencieux et infini.
Mais, ici-bas, nous vieillissons à l’amble. Fête à vous Raymond, en ce jour. La mienne fut au printemps, presque la même année.
Continuez à écrire pour vous, pour nous.
“Demain sera un autre jour…”
bonjour Raymond,
joie de pouvoir venir ici pour dialoguer avec vous. J’avais retrouvé ce plaisir sur le blog littéraire et artistique de Paul Edel mais depuis hier mes commentaires ne passent plus, alors ce que j’avais à dire sur Anselm Kiefer sera pour vous.
C’est un créateur hors norme dont les œuvres, sculptures ou toiles géantes choquent, dérangent. Je l’avais découvert en 2007 au Grand Palais, à Paris. Tout cet espace immense pour lui. : Monumenta ! Des amas de béton partout, des barbelés enchevêtrés ,une atmosphère de désolation. Des tentes disséminées où découvrir son œuvre. Partout des phrases extraites des poèmes de Paul Celan.
Toiles emplies de paysages brulés formant murs de matière, impénétrables. Neige ensanglantée. Terre sillonnée et désolée. C’est une matière brute, violente, primitive. Strates recouvrant des strates.Avions détruits en plomb. Livres en verre brisé. Tournesols calcinés. Cendres et paille. La terre allemande en souffrance, ravagée par la guerre. Kiefer met en scène la catastrophe , lamutilation par le génocide. Mémoire du nazisme. Effondrement des valeurs humaines.
La série “Magarete et Sulamite” m’a bouleversée. Cheveux et cendres pour l’une, paille dorée pour l’autre.
Quelques vers de Celan (Pavot et mémoire):
“Un rien
Nous étions, nous sommes, nous resterons en fleur
La rose de rien
de personne.”
Puis le ciel etoilé “Sternenfall / La chute des étoiles” (entre chute et lumière). Ciel de plomb qui écrase l’espérance.
Comme l’écrit votre cher poète, Hölderlin : “Ce qui demeure, les poètes le fondent.”
Todesfuge / Fugue de mort.
La pensée juive comme un antidote contre cette catastrophe de l’Histoire du XXe siècle. Absurdité des guerres, des massacres.
Deux hommes qui travaillent la matière de mémoire, l’un avec des mots, l’autre avec de la glaise sombre.
Et pour Kiefer, comment être un artiste allemand après l’exploitation de l’art par le national-socialisme ?
Question que vous avez subtilement posée dans votre recueil bilingue avec Helmut Schulze “Le Chemin / Der Weg” même s’il s’agissait de la guerre de 14/18..
Cette question traverse le travail de Kiefer.
Cette nouvelle exposition au Grand Palais, annoncée par Paul Edel, illustrée par JJJ, semble esquisser un désir d’ascension spirituelle. Le songe de Jacob ? L’art peut-il prendre son envol ?
Une œuvre qui interroge la souffrance d’un passé proche et lointain.
Comme l’écrit Margotte, “c’est glaçant”. Un artiste qui m’entraîne dans un labyrinthe. Est-il Dédale, Thésée ou le minotaure ?
https://www.liberation.fr/arts/2020/11/11/au-pantheon-anselm-kiefer-et-pascal-dusapin-esquivent-la-pompe-funebre_1805258/?outputType=amp
Au Panthéon, près de M. Genevoix pour se souvenir de ceux de 14/18…
un rêve l’hiver
valide j’allais vers les troncs amis
l’aventure de vivre coulait joyeuse
malice et rires sous les pas
décembre usé renonçant à me suivre
je tournai le dos à ses soirées maussades
appelai de tous mes voeux l’an neuf
cueillis du gui escaladant le saule aux graves appuis
et l’enfance revenant au creux des biceps
je ris de glisser sur l’écorce du sapin proche
je me dis que l’amidon des décennies
n’avait pas trop déçu mon compagnon fidèle
le rêve ce rêve d’aller loin toujours plus loin
tuiles arêtes vertiges et folies des ardoises
il me sembla que rien contre ma poigne
ne s’opposait à mon envie de survoler les cimes
lâchant la branche au dernier moment
alors que mes pieds touchaient la terre
je vis s’éclipser dans un sifflement amusé
du rameau les mille hardiesses que je formais
la lune vite arrivée furieuse présence
s’empara de l’horizon en un seul surgissement
je sentis monter dans sa ronde cruelle
le chant fourbu que j’étais devenu
lunaisons infinies des jours des nuits
j’étais fou d’espérer une souple existence
le gel des os est la loi des ans
et c’est désormais le glacé du mois
qui demeure mon seul temps