Ludwig Van Beethoven : 7e symphonie, deuxième mouvement
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C’est la terre brune, l’humus sur lequel on marche à pas très lents, comme pour goûter le poids du corps qui se mesure à lui-même, seul, joie d’être enfin mortel. Une gloire laïque de vivre et de mourir. Peu de morceaux de musique ont cette émotion contenue de marcher glorieusement vers le funèbre, notre vraie condition. On voit des arbres partout (ah le hautbois), des odeurs de terre montent pour nous, tout le poids du corps posé sur la sente qui mène à la fin de nos existences. C’est notre chant intérieur quand nous avons l’équilibre tranquille du sage qui voit les oiseaux et cesse de les envier puisque tout est bien. J’y vois la fin heureuse de tout.
Parfois le regard file, les basses disparaissent un moment pour nous faire voir la lumière à travers les arbres défaits presque transparents. Puis, notre condition n’est plus la nôtre, la clarinette chante un moment où nous allons rejoindre la communauté des vivants, l’orchestre lui emboîte le pas en accords consensuels. Car ce n’est pas une marche pour nous seuls soudain on comprend que ce sont nous tous qui marchons ensemble. On est alors soulagés de savoir que chacun est seul mais que nous marchons tous. Un but est trouvé, très terre à terre, pas du tout transcendant, la terre nous convie à l’accepter telle qu’elle est. Notre pas devient passage, juste ce moment où nous rejoignons l’indistinct non plus le moi et le toi, mais le tous, arrimés à ce qui est notre vérité mortelle. Mais c’est une gloire de vivre dans ce tutti magnifique où tout le monde marche et tourne dans ce funèbre accepté. Ce n’est absolument pas la résignation, mais l’acceptation tranquille de nos pas fugitifs sur la sente bordée d’arbres aussi magnifiques que nous-mêmes. On adore les silences qui semblent faire entendre le souffle qui nous fait cortège lorsque nous marchons, cette buée. Mais rien en nous ne fait plus plaisir que les grands accords non solennels qui disent oui à tout. Étrange mélodie profane qui nous chante: elle dit ce que dit la religion, mais défaite de dieu, l’avancée vers le vrai tempo de notre vie en devient toute grandiose – dans le chant central – on acquiesce avec des petits picotements aux yeux qui selon l’humeur peuvent se faire larmes, mais juste un moment.
Il n’y a jamais cette lutte entre les cordes et les bois très traditionnelle, ils s’entrépousent au contraire pour le plus grand profit de notre équilibre de marcheur. C’est donc un psaume unique, piété laïque, passion vitale assumée, victoire sur la peur du vide qui parfois vient affleurer lorsque les cordes aigües voire les bois se défont des basses, tout petits instants où l’on flotte dans le vide, comme lorsque marchant on oublie que l’on marche. L’orchestre vient vite consoler ces petits vides en assurant que nous avons raison d’être heureux de vivre en mélancolie bien au niveau du sol qui ne se dérobe que rarement. La résolution finale ne nous abandonne pas, elle nous laisse au silence enfin limpide, clarifié de toutes les scories sentimentales qui nous assaillent inutilement, puisque l’essentiel ici a été chanté. Nous sommes enfin fiers d’être mortels: nous appartenons à la même source que Beethoven, quelle chance nous avons !