valide j’allais vers les troncs amis
l’aventure de vivre coulait joyeuse
malice et rires sous les pas
décembre usé renonçant à me suivre
je tournai le dos à ses soirées maussades
appelai de tous mes voeux l’an neuf
cueillis du gui escaladant le saule aux graves appuis
et l’enfance revenant au creux des biceps
je ris de glisser sur l’écorce du sapin proche
je me dis que l’amidon des décennies
n’avait pas trop déçu mon compagnon fidèle
le rêve ce rêve d’aller loin toujours plus loin
tuiles arêtes vertiges et folies des ardoises
il me sembla que rien contre ma poigne
ne s’opposait à mon envie de survoler les cimes
lâchant la branche au dernier moment
alors que mes pieds touchaient la terre
je vis s’éclipser dans un sifflement amusé
du rameau les mille hardiesses que je formais
la lune vite arrivée furieuse présence
s’empara de l’horizon en un seul surgissement
je sentis monter dans sa ronde cruelle
le chant fourbu que j’étais devenu
lunaisons infinies des jours des nuits
j’étais fou d’espérer une souple existence
le gel des os est la loi des ans
et c’est désormais le glacé du mois
qui demeure mon seul temps
Mélange d’effroi et d’exultation, une risée soudain fait frissonner le poème, griffe le rêve. Matière obscure et lumineuse.
Ermitage d’un blog où je me repose.
Oui Christiane rien n’est assuré dans ce texte. L’écriture seule du blog compte. C’est pourquoi vous pouvez vous y reposer. Les mots y seront bien gardés.
Merci, Raymond.
Comme si vous étant perdu de vue, vous aviez cherché la trace de votre absence d’où votre présence allait surgir à nouveau.
C’est écrire qui me ressuscite après le détour de l’absence. Une fois de plus vous pointez l’essentiel. Merci.
Vous lisant, je pense aux derniers autoportraits de Rembrandt où face à son miroir il scrute sans complaisance l’avancée de la vieillesse mais sans faiblesse ni docilité. Paisiblement, il affronte, jour après jour, la solitude. Un long fil d’adieu court de toile en toile, j’allais écrire… de poème en poème…
https://jepeinslepassage.com/rembrandt-parle-autoportrait-a-63-ans-2/
ce lien mène à un texte ancien que j’avais écrit après une visite à la National Gallery de Londres. Il en existe bien d’autres mais celui-ci le dépeint au bord du gouffre; tranquille, il s’est débarrassé de ses pinceaux, merveille d’apaisement.
De poème en poème… Je vous embrasse. Raymond
Ce texte est extraordinaire. Une analyse fine chargée d’émotion.
C’est justement à ce portrait que je pensais. Ce vêtement brun, sombre se fondant dans le fond terreux. Une palette sombre, presque monochrome. On dirait une eau-forte.
Il est plongé dans l’ombre. Vous parlez bien du modeste bonnet. Et pourtant, oui, cette lumière liée à la vérité sur le visage.
L’image vraie. Transformation de la connaissance par la sensation et l’inverse.
Le visage est épaissi ne cachant ni les rides ni les plis de la peau meurtrie, détaillant les effets du temps… Et pourtant quelle assurance dans la maîtrise du geste de l’artiste. Une précision sans défaillance. C’est une épreuve de force : s’affronter… J’apprécie votre regard sur les toiles que vous aimez.
Tout être se mire, cherche son “Je”.
Oui vous avez raison, c’est ce chemin qu’il faut emprunter lorsqu’on est de près ou de loin mêlé à l’art, quel qu’il soit. Je vous dirai tel mouvement de sonate (le mouvement lent de la 15 (dite le printemps) de Beethoven..où l’on se cherche négligemment (un andante !) – avance avance main gauche main droite, équilibre presque solfégique -puis soudain un envol modèle, inattendu, presque féroce à force d’être divin – on en mourrait presque se disant: tout est dit, et le bougre reprend le même envol une seconde fois. Et l’on se dit par devers soi: mais pourquoi donc LES GENS n’écoutent-t-ils pas semblable merveille? Candeur gentillette du prosélyte, sept milliards d’habitants, tu rêves, adolescent attardé. J’ai de la peine pour ceux qui ne connaissent pas Rembrandt et son pendant musical Beethoven. Je crois que nous sommes de vieux fous.
Rembrandt chemine de toile en toile (ou sur panneau de bois) dans le silence et l’ombre et se faisant, paradoxalement, vers la lumière.
Un peu comme Kiefer…
C’est d’une grande finesse ce que vous dites là.
Il faudrait développer à la manière de Tanizaki. Doucement, lentement, sans jamais se presser. L’ombre se faisant lumière c’est la lutte à mort remportée haut la main par Rembrandt. Ou par Kiefer. J’ai vu par hasard un Kiefer à Washington(cette manie méprisante d’aller au musée dans toutes les villes, au lieu d’être au milieu, sur la place centrale; Sartre faisait ça, il n’allait Jamais au musée… quel fou !); j’y étais pour quelques jours (la famille)… C’était un avion mal bricolé, posé là, il y avait une botte de blé et des champs peints à perte de vue. Mais l’avion était bien réel, énorme et réel. Et le blé aussi. Très réel. C’était il y a cinq ans je crois, je ne les ai jamais oubliés. jamais. Comment cet homme de notre temps fait-il pour rendre la vérité du monde?
On est bien dans l’interrogation de Rembrandt.
Nous vivons un temps délicat. Hölderlin qui s’y connaissait en fait de folie, recommandait la MESURE. C’est le contraire de l’hubris.
Mais dans le même temps l’hubris il faut bien s’en servir pour créer. Sinon nous demeurons dans la platitude. Même les impressionnistes ne m’impressionnent pas tant que ça. Rembrandt oui.
Je suis vraiment ravie de nos échanges. Quelle richesse que vos pensées m’aidant à approfondir mes intuitions ! Oui, je vais relire Tanizaki. Oui, l’ombre se fait lumière… La lumière qui vient des ténèbres… Rembrandt et son art du clair-obscur. Eugene Fomentin écrivait : “C’est avec de la nuit qu’il a fait le jour.” à propos d’un Christ à contre-jour le nimbant d’une aura surnaturelle.
Quant aux avions en plomb de Kiefer. Il y avait à l’expo de 2007, “Monumenta”, au Grand Palais. Un d’eux portait sur ses ales des livres de plomb d’où surgissaient des graines, de la paille. Un autre portait un polyèdre de verre comme dans la Mélancholie de Dürer avec ce polyèdre qui la laisse si songeuse. Le plomb est sa signature (Saturne ?) comme le feutre fut celui de Beuys. Le plomb qui empêche l’envol… Autant d’allégories de la guerre de la disparition… de l’effondrement. Il y avait aussi une immense aile de plomb avec des pattes d’araignée(Icare ?) qui projetait son ombre sur une toile. Terre brûlée et paille. “La chute de Wölund (qu’est-ce ?)
Et la paille… Cheveux de Margarete (P.Celan) mais aussi champs de blé du land allemand.
Tous ces artistes, ces poètes comme une rumeur océane sous le ciel des jours.
Je viens de relire “Éloge de l’ombre” de Junichirô Tanizaki (Verdier). Comme vous avez raison. Il parle si bien du clair-obscur.
au fil des pages :
“La beauté (…) produite par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre. (…) lumière indirecte et diffuse (…) épuisée, atténuée, précaire,indécise, d’apparence incertaine. (…) L’ombre renferme une épaisseur de silence, (…) un calme un peu inquiétant.
Univers ambigu où l’ombre et la lumière se confondent.”
Ah oui, un grand texte encore. J’avais lu dans la foulée quelques proses; c’est un très grand écrivain. Il nous est si proche. Mais son éloge de l’ombre (Quignard en parle beaucoup je ne sais plus où)… quelle délicatesse toute en grandeur trop humaine. Vous dites “ambigu” je dis “humain”, c’est la même chose. Mais les êtres ne le reconnaissent pas volontiers. Et pourtant notre maître Montaigne en a fait trois tomes !
C’est l’angoisse contemporaine qui nous empêche d’être souples. Les estimations psychologiques veulent des réponses. Avec des mots tout prêts, scientifiques. Comme si la psyché était une matière. Comme si la psychologie était de la physique. On dit que c’est de la chimie, mais la psyché malgré les progrès des pilules miracles ne se résume pas à ces expédients grossiers. Proust le montre bien.
https://www.espritsnomades.net/musiques/ludwig-van-beethoven-quatuor-n-15-en-la-mineur-op-132 –
Pour prolonger votre évocation…
absolument nécessaire ! Le dernier quatuor ! Ah là là… “ça nous remet loin” (la formule est du Céline aussi, mort à crédit je crois, au tout début!).
Que j’aime cette musique !
merci !