premier printemps 

L’enchantement de fin février vient de loin. D’avoir longuement dormi, bourgeons et oiseaux prennent leur temps. L’aurore leur est fade encore. Ils se méfient, dirait-on. Sortir de l’ombre en douceur est délicat, je les comprends. Car une fois éclos, il n’est aucun retour. La feuille et son vert trop tendre, l’œuf et ses éclats frileux, tout cela demande prudence et ruse; les nids cachés, les brindilles esquissées. L’existence risque tout, à seulement sortir pour exister. 

Je m’interroge souvent sur la première inspiration des oisillons; c’est infime; c’est peut-être la même que la mienne quand les voyelles

s’installent presque sans bruit, murmure du crayon quand les consonnes tardent. La griffe du style tire son souffle du jour neuf, le bourgeon craque dans sa lenteur première, mais si naturelle que les mots se pressent , autant de tiges serrées qui s’entrecroisent et les pétales ne dorment plus: le temps va traînant, s’étire, se déplie, ainsi les folioles, ainsi les ailes encore humides qui se défroissent, ainsi la feuille qui se couvre de mots. La main se cache, le bourgeon se déprend de sa colle et l’oiseau creuse l’accueil du nid, tout au fond, car naître est dur, mais si naturel que les mots se poussent, autant de tiges qui se tissent, et les pétales ne dorment plus. 

En février on a raison d’espérer. C’est l’instant de l’année où les risques s’enchantent d’être pris. Mais je tremble pour eux, comme eux. Le bleu qui viendra se paie sur cette pointe de temps. On entend dans février, à le dire, le tremblement des mois, de l’an et finalement des années que l’on tire au cordeau du destin. Peut-être est-ce la raison de son exceptionnelle brièveté, février a tant à faire. C’est un que faire? qui a sa réponse en germe. J’ai toujours envie de dire pas si vite aux bourgeons; leur extension bientôt si rapide exagère, on dirait qu’ils fuient. Les oiseaux et ma main n’ont pas la hâte des plantes. Le rouge des brindilles nous alerte, je sais bien, mais cet échauffement angoisse un peu. Et si le gel survenait? 

L’horreur d’une nuit, une seule suffit. Le mercure alors m’effraie. On a raison de trembler pour les fleurs. Implacables nuits de mars où la guerre contre les pétales se déclare impromptu. Et si avril s’en mêle, je n’ose y penser. On en veut alors d’une haine tenace au février du sourire, celui qui laissait le soleil se lever chaque matin. Il y avait tromperie, songe-t-on. A quoi bon en effet réchauffer la terre si c’est pour la rabaisser sournoisement au-dessous de zéro? 

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