Parfums

Si je me retourne, j’entends venu d’occident par-delà les îles et les golfes, un immense souffle qui fait de mes troènes si poivrés un flot de miel blanc, flocons qui sonnent imperceptibles sur la terrasse, émiettement du ciel sur mes sandales fraîches, et cette poudre argentée, cette brume rustique, me renvoie d’un coup les fragrances traversées des îles et l’écume cavalière qui s’écrase à cent lieues de mon jardinet agité. Je n’aurai pas vécu pour rien. Les vieilles feuilles plus souvent grises que vertes sont à l’image des pages où j’écris, car le vent les touche aussi, bousculant, pressant sous mon crâne les mots qui consentent à naître sans que je le veuille presque, puisque la vie, le vent, le même qui gonfle les voiles des heureux navigateurs, parade à deux pas, danse au rythme anarchique des chants d’oiseaux qui susurrent des mélodies incontrôlables, par-dessus le silence. Il se fait une joie échappée au temps qui passe, le présent a beau creuser ses remous évidents, ma peur se dissout rapide dans d’ultimes tremblements, le calme d’avant les mots s’installe en vibrant comme la flèche sur la cible, et me voilà valide, respirant étonné la perpétuelle naissance des secondes, tandis qu’à deux pas, des notes de piano fabriquent un air d’autrefois, fort savant, qui accroche à ma mémoire des guirlandes de fêtes où j’aurais pu rire si j’avais eu comme tout le monde la foi du bonjour et de la poignée de main distraitement serrée. Mais je ne suis pas comme l’arbuste tombé de la dernière pluie, mes cheveux sont là sur le sol ténébreux, la poudre du temps s’y est mis, la pensée d’une joie sur l’instant n’ose pas perdurer, ma vie, ma vie revient avec le souffle qui s’apaise et face à l’immense silence qui s’ensuit, ma mémoire accroche hontes et échecs, m’amie a des yeux de velours, elle est loin, elle s’est dissoute aux îles où il aurait fait bon mourir sans qu’on doive remonter constamment dans les filets les vrais souvenirs de grand bonheur. Il était une barque possible, toutes les chansons l’évoquent, mais à quoi bon les voix, tu sais bien l’envie qui nous prend de ressasser ce qui fut pour boucher les écroulements des décennies, les chansons ont été bues par nos tympans désormais emmurés par la mémoire qui pousse ses blocs de rêveries. Alors, par-delà ces heurts qui vont et viennent, soudain j’oublie tout et, raccrochant mes sandales, je cueille par poignées les fleurs tombées des troènes prenants et les respire pour avoir des golfes et des îles un reste du souvenir piquant du temps où la chance m’échut.