Je reconnais volontiers qu’il est curieux d’aimer la solitude et le silence. Tout nous pousse au contraire : la rue, les bavardages et vacations qui tout compte fait nous répètent les considérations oiseuses entendues au présent ici ou là à la radio ou à la télé. Je pense aussi à ces musiques rythmées absurdement toujours de la même manière (systole diastole) et qui envahissent l’intérieur des crânes de nos contemporains qui, seuls, dans le bus ou dans le train, s’exaspèrent à reprendre mille fois des enfantillages qui demain auront vécu moins que les roses. J’entends de loin le grincement rythmé, le grésillement syncopé de ces petites musiques qui ne mangent pas de pain, je m’étonne que l’on s’abandonne ainsi en ces instants qui peuvent durer une vie entière à une massive conception de l’obéissance (ouïr et obéir sont un même verbe) alors que ces personnes interrogées séparément diraient à peu près : « J’écoute ce que je veux ! » Ils n’imaginent même pas vivre sans écouter constamment ces mièvreries formatées. Je souligne à gros traits ce qui m’apparaît comme une étrangeté, mais grand bien leur fasse s’ils y trouvent leur bonheur. De même que je serais bien mal venu de dire à celui qui va prier que dieu n’existe pas. De même qu’il ne viendrait à l’idée de personne de reprocher à toutes ces jambes ( !) de porter le même type de pantalon bleuâtre ou gris ; ils nous le feraient également à la liberté : « Je porte ce que je veux ! »
Je reviens au silence ; il est condition de mon bien-être, sans lui je ne saurais écrire un mot. Page blanche de mon temps, il sort de lui quantité de mots auxquels je n’aurais pas songé si je ne m’étais mis en état de réceptivité ouverte. La difficulté est qu’une telle écoute du blanc fragilise; on se donne à l’ouvert sans savoir ce qui viendra. Le résultat est provisoirement réconfortant : c’était ce que j’avais à l’esprit sauf que je n’avais justement rien à l’esprit. C’est même ce silence, cette absence qui ont fait monter ce que je lis plus tard avec stupéfaction et rétrospectivement je me dis que cela ressemble en effet à mes petites lucidités furtives qui rôdent au bord de ma conscience. Il reste que l’art de se fragiliser est en contradiction totale avec notre temps qui veut que nous soyons toujours en forme énergiques et dynamiques : pourquoi ces mots me font-ils sourire ? Quel jugement négatif se cache là derrière ?
Rien, aucun, n’écoutez pas.