– Eh, bonjour, vous n’auriez pas une tronçonneuse des fois ?
– Bonjour, non, désolé, dans nos jardins…
– Quoi, dans nos jardins ?
– On a peu l’occasion de couper de très grosses branches.
– Vous les trouvez ridicules nos jardins ?
– Je n’ai jamais dit ça !
– Bon, alors faut pas dire qu’y a pas de grosses branches. Y’en a !
– Vous avez raison ! Je ne voulais pas… quant à la tronçonneuse, c’est délicat.
– Ah, parce que vous en avez une et vous ne voulez pas…
– Non,non,non ! Ne vous méprenez pas ! (Vous pourriez écarter vos cisailles, s’il vous plaît ?)
– Alors vous en avez une, oui ou non ?
– Non. Je n’ai pas de tronçonneuse… mais
– Mais quoi ?
– Disons que si j’en avais une, je…
– Vous ne me la prêteriez pas ? Ah les voisins !
– Non, ce n’est pas ça !
– Vous m’avez dit l’autre jour avec votre air pontifiant : Entre voisins faut s’entraider… que vous m’avez dit…
– D’un air pontifiant, ben tiens !
– Oui, pas plus tard que l’autre jour.
– J’ai dit ça, oui, mais une tronçonneuse ça ne se prête pas comme ça.
– Attendez, y’a une semaine vous aviez besoin d’une clef de 23 et…
– Oui, je savais que vous avez tout un jeu de clefs et les clefs de 23 on ne s’en sert pas tous les jours…
– Ben, pareil pour la tronçonneuse.
– Non, une tronçonneuse ce n’est pas comme une clef de 23 !
– Elle est bonne celle-là, vous allez m’apprendre la différence entre une tronçonneuse et une clef de 23 ! Dites tout de suite que je suis un con, pendant que vous y êtes !
– Non, non, écoutez, une tronçonneuse… une tronçonneuse ça ne se prête pas, voilà ! Si vous avez un accident, c’est moi qui suis responsable.
– Ouais, oh ça va, quand vous avez besoin des voisins vous les taxez mais quand on vous demande un truc, vous sortez des trucs foireux. Facile !
– Puisque je vous dis que je n’ai pas, je vous le répète, je n’ai pas de tronçonneuse.
– Ouais, ça va, je suis pas sourd. Heureusement que je n’ai pas demandé votre aide quand on a coupé mon arbre là derrière !
– Ah ben oui au fait, vous avez fait comment ?
– J’ai demandé à un gars qui a une tronçonneuse… mais là je vous ai prêté une clef de 23 alors je me suis dit que…
– Ah ben non, pas de chance. Je n’ai pas de tronçonneuse.
– Vous pourriez faire un effort.
– Ben, écoutez, si vous avez une grosse branche à couper demandez au gars qui vous a coupé votre arbre !
– Il aurait du mal.
– Pourquoi ?
– Il s’est coupé le bras.
– Le pauvre.
– Sûr c’est pas de chance, mais qu’est-ce qu’il avait besoin aussi d’aller tronçonner chez les autres.
– Il voulait sans doute arrondir ses fins de mois.
– Oui, ben là, c’est son bras qu’il a arrondi.
– Il se coupe le bras et vous vous moquez !
– Je dis ce qui est, c’est tout ! D’toute façon je l’avais dit.
– Comment ça ?
– Il était complètement abruti. Quand il est venu couper mon arbre, j’ai bien vu qu’il confondait sa droite et sa gauche.
– En politique, ça n’aide pas, mais pour tronçonner… Qu’est-ce qui est arrivé ?
– Ils étaient deux pour couper, chez un voisin pas loin ; l’autre a dit attention il va tomber à gauche et lui il se dirige vers la gauche. Chute de l’arbre, panique, pas le temps d’arrêter la tronçonneuse. C’est de sa faute !
– De sa faute, je ne sais pas, en tout cas pour la tronçonneuse je suis désolé, je n’en ai pas, désolé.
– Pas tant que moi ! Menteur !
– Calmons-nous ! Racontez-moi plutôt cher voisin, comment vous est venue l’idée de vous défaire de ce bel arbre qui donnait à votre maison un aspect rural, ramassé, plaisant…
– Les feuilles ! Ça foutait plein de feuilles dans les gouttières.
– Ben vous n’aviez qu’à mettre une crapaudine !
– Pourquoi, les grenouilles elles bouffent les feuilles ?
– Non, une crapaudine, c’est un dispositif qu’on met à la descente de gouttière pour…
– Une crapaudine ! J’te demande un peu ! Une crapaudine, jamais entendu parler.
– Ben ça existe pourtant.
– Oui, oh faites pas votre malin ! Prétentieux, va ! Une crapaudine, un truc que personne connaît.
– Je ne fais pas le malin, cher voisin, je dis seulement qu’une crapaudine, ma foi…
– Ça va hein, stop avec votre crapaud! Ras le bol ! Au fait, ma clef de 23 ?
– Eh bien, je l’ai remise dans votre boîte aux lettres, comme convenu.
– Et vous en avez profité pour lire mon courrier.
– Comment ? Répétez un peu ?
– Oui, oh les voisins j’connais. J’ai l’œil. Faut pas me la faire à moi !
– Je… je n’ai rien lu du tout… mince alors !
– C’est ça ! Et le merci ? Il est où votre merci ?
– Quoi, merci ?
– Je sais que c’est démodé, mais quand on emprunte quelque chose à quelqu’un dans mon pays on dit merci.
– Eh dites-donc ! Je vous ai remercié !
– Première nouvelle.
– Quand je vous ai déposé votre clef de 23 dans votre boîte, j’ai joint un petit mot où je vous remerciais !
– Un petit mot ? Ma femme a dû le foutre en l’air votre torchon. J’ai une sonnette nom de dieu !
– Je ne voulais pas vous déranger, cher voisin.
– Écrire merci c’est de la lâcheté ! C’est facile ! Dire entre quatre z’yeux, c’est autre chose ! Dites-moi merci !
– Non !
– Vous l’aurez voulu ! Vous voyez cette cisaille, eh bien je vais vous l’enfoncer dans votre panse de menteur.
– Non, non, non !
– Prenez ça ! Un jour je suis rentré dans votre garage et j’ai vu que vous aviez une tronçonneuse, menteur !
– Non, mais !
– Crevez ! Et encore un deuxième coup de cisaille ! Tous les voisins méritent que ça !