La butte témoin s’ouvre aux quatre horizons et donne à notre présence sur la terre un souffle inhabituel, la géante cathédrale multipliant par cinquante notre corps vertical. Le monde coloré passe sous notre regard, l’aventure du plateau est un arc-en-ciel et même bouchée (les nuages, balourds visiteurs) la trompette de lumière azurée module ses innombrables mélodies de nuances éblouies. Dignité, fierté, exaltation, rêve de puissance, tout se mêle lorsqu’on se prend à songer aux siècles, aux œuvres et à notre vive présence, modeste et capitale.
Que dire alors des souterrains? Lorsqu’on s’enfonce sous le plateau, c’est une nuit de pierres, le monde se fait noir et blanc, les galeries s’élancent, bifurquent, se croisent pour le plus grand plaisir des spéléologues, las d’avoir été arrosés par la lumière du jour. Je crois qu’ils cherchent à animer un peu la peur de vivre à cru qui est l’autre nom de la peur de ne plus vivre. Le savant aussi bien que le touriste y entendent en effet leur cœur battre, le silence est tel qu’on se sent plus directement vivant, le corps remue comme la nuit du poète, le pas fait vibrer les dalles: on ne ment plus, c’est bon. La nudité de l’existence fait l’excellence des lieux et nous attire comme si c’était la vérité enfin de notre vie.
Ces rocs entassés, percés, creusés, évidés par l’eau et la main de l’homme offrent un tombeau vivant à explorer, ainsi peut-on peut-être imaginer par avance, lampe au front, une image de notre vie après la vie.
Les souterrains angoissent et rassurent, ils sont notre émoi perdu sous les pas des piétons du parvis. Les emprunter est une autre promenade qu’en ville haute. Elle est hors temps, hors climat, et à condition de s’habituer à la fragilité des lumières, elle offre du passage accidenté vers le paradis une représentation saisissante, étouffement mimé sous le poids des pierres. Il est vrai qu’avancer c’est risquer: l’explorateur peut se perdre à chaque détour, choisissant la galerie de gauche au lieu de la droite qu’il croit connaître puis, la panique aidant, rebrousse chemin par aspiration à retrouver le connu. Marcher ainsi à la presque aveuglette, c’est mettre en valeur son courage, son flair, son savoir aussi. Tel grès des parois, telle argile du sol en disent autant à l’explorateur que la nature du sol et des plantes pour un agriculteur.
Il est vrai qu’il en va des souterrains comme de nos pays où la main de l’homme a glissé partout, les découvreurs d’antan sont devenus fonctionnaires et les précieuses balises du tourisme courant ont remplacé les errements du hardi pionnier qui, une lampe sourde à la main, s’est élancé pour la première fois dans la découverte du mystère des lieux d’où la vie semble absente.
Très très beau texte. Merci, Raymond.
De Laon, je ne connais que la ville haute, les impressionnants remparts d’où la ville surgit. Plus haut encore mon regard se souvient de la cathédrale imposante, des bœufs sur la tour, de l’impressionnante suite d’ogives à l’intérieur et des morts sous les dalles noires. des vitraux aussi, au bleu si rare. Ce silence…
Les pierres de la ville, polies par le temps, les petites rues de la cité. Une venelle dont les murs sont couverts de peintures en trompe-l’œil, très étranges.
Vous aviez écrit un livre envoutant sur cette ville que vous aimez Laon ou la cité intérieure.
Et voilà, ce jour, que vous évoquez l’inconnu. Je crois que vous n’aviez jamais écrit les souterrains : “Lorsqu’on s’enfonce sous le plateau, c’est une nuit de pierres, le monde se fait noir et blanc, les galeries s’élancent,”
Voilà un monde étrange que vous approchez en murmurant, un monde matriciel de ténèbres. Un monde inhabité.
L’irréel de vos images fait surgir l’invisible, la trace d’une absence, le monde du labyrinthe où l’on peut se perdre. Un monde où vaincre la peur.
Arracher l’homme au cauchemar du temps…
Voilà un monde étrange que vous approchez en murmurant, un monde matriciel de ténèbres. Un monde inhabité.
L’irréel de vos images fait surgir l’invisible, la trace d’une absence, le monde du labyrinthe où l’on peut se perdre. Un monde où vaincre la peur.
Arracher l’homme au cauchemar du temps…
Merci pour ces mots précis et qui répondent à ce que je cherche. Le hasard a voulu qu’au solstice on m’opère de l’œil droit.
La nuit est venue toute seule !
Merci de m’accompagner sur ce chemin !
Et maintenant, votre vue est-elle redevenue normale ? C’était donc cela ce grand silence… Bon courage cher Raymond.
Oui, enfin normalement ça devrait alleer mieux après deux autres piqûres. Nous “verrons”. Merci de votre souci.
Des bonnes nouvelles, donc. Je m’en réjouis.