L’étang de paix que borde l’effroi laisse flotter les cygnes qui tels des mots s’avancent sans que l’on voie ce qui les meut, dans un silence reflet qu’on envie, vers lequel on tend les bras, ne serait-ce que pour avoir quelque chose à prier.
Des canards âpres, prosaïques, essuient leurs plumes avec vigueur. Juste vivant, je pose face au souffle pesant un pas de plus, rythme facile que l’eau et moi rendons heureux dans la cadence des vagues brisées dessous les rives.
S’éclaire alors en ce solstice une présence auprès des ruines lestées du grand massacre.
On questionne quelque part :
– Tu reviendras, hein, tu reviendras ?
– Que t’importe mon retour ! Je suis là : n’est-ce pas suffisant ? N’avons-nous pas aux tympans, cent ans après, les éclats des pierres ferventes, éboulées là ? Chacun de mes pas ne réveille-t-il pas l’avalanche des brusques obus qui te firent taire, chère voix ?
Venez, cygnes, statues lentes qui plongez parfois vos têtes dans l’eau sobre et sacrée, donnez vos grâces, confiez aux canards préoccupés d’eux-mêmes le silence limpide qui médite et procède, oublié du siècle…
je devine l’ombre de l’eau
avec comme seule risée
de petits nuages de plumes blanches
poussés par un vent immobile.
Le fracas des obus résonne-t-il encore ?
N’est-ce plutôt l’écho du silence
qui fait vibrer la pierre ?
L’étang de paix est froid
le souvenir seul est brûlant.
Vous avez à votre manière, directe et poétique à la fois, rendu un bel hommage à mon petit texte rêveur dont – je vous dois au moins cette source – quelques paroles sont hantées par un poème de Hölderlin écrit autour de 1800 intitulé: “Moitié de la vie”(“Hälfte des Lebens”).
Vous verrez alors dans ma rêverie comme un contrepoint à ce texte magnifique du poète allemand. C’est un dialogue engagé à mon modeste niveau auquel vous apportez encore autre chose… c’est superbe.
Voici le poème de Hölderlin tel que je le transpose – pauvre de moi- en français pour un dialogue à trois:
“Avec ses poires jaunes,
Et pleine de roses sauvages
Se suspend la terre dans le lac,
Et vous cygnes merveilleux
Ivres de baisers
Vous plongez votre tête
Dans l’eau sobre et sacrée.
Malheur à moi, où vais-je prendre
Quand viendra l’hiver les fleurs et où
L’éclat du soleil
Et les ombres de la terre?
Les murs se dressent
Silencieux et froids, dans le vent
Grincent les girouettes. ”
Vous constaterez que votre texte n’est parfois pas très loin de la concision du poète allemand.
Ces quelques mots bredouillés (j’allais dire brouillonnés …) ne se voulaient, effectivement et modestement, qu’un hommage à votre “petit” texte.
Merci de vos commentaires et précisions. Merci beaucoup de ce bien beau poème de Hölderlin.
C’est très émouvant.