Très fier, le soleil, ce matin du 21; je pense à ces grottes néolithiques visitées en Irlande(Newgrange); on allait jusqu’au bout, jusqu’au fond, il y avait là une manière d’arrondi qui avait été taillé par les hommes du temps (comme une chapelle) et c’était ici que les hommes se rassemblaient, tout au fond, pour attendre la survenue du rayon du soleil le 21 décembre; sinon les autres jours de l’année le soleil ne pénétrait pas droit dedans, voire pas du tout et on m’avait affirmé que des Irlandais pratiquaient toujours ce rituel du 21 décembre, en hommage aux êtres humains qui l’avaient inventé. Le retour de la lumière se célébrait ainsi, dans une grotte “meurtrie par l’ombre” (aurait dit Borgès), un seul jour dans l’année la grotte s’illuminait dès le lever, ce devait être une grande joie. Et puis un jour, par hasard, j’ai appris que ce 21 décembre était un jour de sacrifice; on sacrifiait à la lumière; rituel des hommes pour les hommes, pour se concilier la lumière, le soleil et la joie de vivre. Des actes abominables s’y commettaient, sacrifices humains, trop humains.
Il ne s’agit pas d’avoir le regret de ces cérémonies criminelles(pudiquement nommées: sacrifices), mais de constater que la grotte de Newgrange est une forme primitive de l’église telle que nous l’avons connue depuis des milliers d’années; et voici qu’elle se vident sous nos yeux. Au fait, que se passait-il? On ne sacrifiait plus rituellement, le Christ avait remplacé ces actes abominables à nos yeux et c’est pourquoi on a eu durant deux mille ans un supplicié comme superstition émouvante. Il faut croire pourtant que Jésus n’y a pas suffit puisque nous avons continué ces rituels barbares à travers ce que nous avons appelé les guerres: elles n’ont jamais cessé.
Je me demande ce qui va remplacer ce modeste moyen (l’église positive, les guerres négatives) d’apaiser notre agressivité masculine naturelle. Peut-être les femmes; elles s’y emploient en tout cas. Tout ça pour le Chromosome Y ! Si la guerre se démode relativement, “Y” demeure. Que faire de cette lettre qui cogne à la porte des hommes de manière insistante?
Freud qui avait parfaitement analysé le “Malaise”, propose la sublimation; il s’agit de créer pour remplacer ce crime qui rôde du côté des hommes. La création contre le crime, c’est bien, mais ça ne semble pas suffisant.
C’est ce qui explique la ruée sur les fictions criminelles. Cette étrange invention qui remonte à Edgar Poe (c’était hier!) – peut-être “L’auberge rouge” de Balzac – ouvre au chromosome Y un champ très vaste, infini, de rêveries criminelles qui apaisent nos psychés. Les séries TV, les romans noirs si bien nommés(Marcel Duhamel), voilà qui pourrait bien mettre un peu de paix féminine dans nos esprits gravement atteints par le manque de substituts criminels.
Je crains que ce ne soit pas suffisant. Et si l’on inventait un vaccin? Un ARN messager (des dieux) qui prémunirait contre la pulsion criminelle… Qui sait?
Le début de ce nouveau billet me rappelle un souvenir presque irréel. C’était sur les contreforts sud de la Grande Chartreuse, dans la chapelle romane d’un monastère dominicain : Chalais.
Ce 20 juin, jour du solstice d’été j’ai attendu longuement dans la petite église abbatiale déserte qu’un rayon de soleil entre par l’oculus percé dans le chevet, au-dessus de la grande verrière. (Seul jour de l’année où le soleil franchit la barre rocheuse pour pénétrer dans ce lieu sombre en formant d’abord une ellipse parfaite sur le sol sombre de la nef puis en recouvrant d’une nappe de lumière l’autel.. Très vite, dans la journée, le soleil monte et part vers l’est et ses rayons quittent la nef.)
Vous descendez dans la caverne matricielle, renouez avec la noirceur du lieu pour raconter comment les ténèbres y sont éclairés.
Irréel de deux images qui se superposent comme une épreuve d’infranchissable, le visible cachant l’invisible. Le visible est trace…
La suite de votre billet m’évoque la première phrase du “voyage au bout de la nuit” de Céline : ” Ça a commencé comme ça.”, écho à la nuit paléolithique. La guerre, les crimes se nourrissent de haine.
et Céline ajoute : “Ça venait des profondeurs et c’était arrivé.”
Une lueur :
“Quand je parlerais en langues celles des hommes et celles des anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne une cymbale retentissante.” (Paul aux Corinthiens – chap. 13)
Impressionnante lumière que vous décrivez là !Chalais… si je peux un jour j’irai, rien que pour le solstice.
Je vous recommande le 8 septembre dans la cathédrale de Laon. C’est à cette date qu’on a posé la pierre angulaire et le rayon vient droit dans la nef, seul jour de l’année où le soleil – s’il paraît – est à l’aplomb de la direction de la nef. La pierre angulaire semble posée de travers mais c’est pour suivre ce rayon probable dans la diagonale. Je parie que toutes les religions fabriquent leurs mythes sur les saisons, les rayons, les saisons etc.
Les désolantes cultures sont celles où il n’y a pas de saisons, ça existe. Je l’ai entendu raconté à propos du Vanuatu. Une horreur, le paradis tout le temps. Les gens se foutent de tout… enfin c’est ce qu’on dit… c’est un pieux mensonge pour se consoler d’avoir froid d’avoir chaud. Je n’y crois pas tout à fait. Mais j’aime à le penser.
Étonnée, Raymond, de lire ces mots de vous : “Les désolantes cultures sont celles où il n’y a pas de saisons, ça existe. Je l’ai entendu raconté à propos du Vanuatu. Une horreur, le paradis tout le temps. Les gens se foutent de tout… enfin c’est ce qu’on dit…”
Bien sûr je ne connais pas le climat et les façons de vivre des habitants des îles coralliennes du Pacifique, hors mes lectures et quelques films documentaires, toutefois il semble qu’il y ait deux saisons, une saison chaude qui dure neuf mois et l’autre plus brève et plus froide. Beaucoup de séismes, d’ouragans, d’inondations à la saison des pluies, des maladies tropicales… Quant à la culture il y a beaucoup de différences d’une île à l’autre
Avez-vous lu “Raga”(Points) de J-M. Le Clézio ? C’est un livre magnifique, un texte autobiographique, récit de voyage (fait en 2005), un essai presque historique se penchant sur les cultures différentes de tradition orale, sur le sort qui a été réservé aux peuples du pacifique mélanésiens et polynésiens à l’époque du colionalisme et sur l’altérité. Un témoignage passionnant sur une expérience vécue. Il y inscrit la quête d’un dialogue. Le sous-titre est “Approche du continent invisible”.
Des niveaux d’écriture mélangés, des voix qui s’entrecroisent. C’est du Le Clézio ni un touriste, ni un ethnologue mais un écrivain sincère, rêveur à la plume enchantée et sensuelle et parfois colérique., ici essayiste.
“L’île Pentecôte, (…) invisible, parce que les voyageurs qui s’y sont aventurés la première fois ne l’ont pas aperçue, et parce que, aujourd’hui elle reste un lieu sans reconnaissance internationale, un passage, une absence en quelque sorte.”
Ce rêve de paradis terrestre que vous évoquez n’est-il pas un leurre, comme celui secrété par la convoitise des conquérants britanniques ou français à l’époque coloniale face aux habitants et aux terres de l’archipel des Nouvelles-Hébrides ?
Retour au réel : “Ce qui frappe le voyageur qui aborde aujourd’hui ces rivages, c’est leur aspect sombre, hostile. falaises noires à pic dans l’océan, hautes montagnes cachées par les nuages.”
Le Clézio laisse place aussi aux mythes d’origine, toujours présents, comme une résistance politique à la colonisation mais offrant une place au sacré et encore, comme une réconciliation de l’homme et de la nature , une transmission orale qui remplace l’écriture. A Vanuatu, les mythes affleurent, “le monde ancien est toujours présent (…) pierres, arbres, dans l’eau des torrents.”
(J’avais lu “Haï” aussi, un autre essai sur le monde indien, autre altérité.)
Le Clézio témoigne d’une perte, quand ces îles étaient encore inconnues.
Livre difficile à définir, envoûtant.
“S’il reste un secret, c’est à l’intérieur de l’âme qu’il se trouve, dans la longue suite de désirs, de légendes, de masques et de chants qui se mêle au temps et resurgit et court sur la peau des peuples à la manière des épars en été.”
Nul n’est exempt de dire des bêtises, dit Montaigne.
Ce que j’ai écrit sur le Vanuatu est une série d’âneries et je vous remercie vivement de rétablir la réalité. Le Clézio est décidément exactement l’inverse de ce que j’imaginais. Je vais m’empresser de combler mon ignorance à travers les livres que vous citez et qui semblent de bien belles choses.
Joyeux noël à vous ! Portez-vous bien et pardonnez moi d’avoir été sur ce point un correspondant mal informé !
Je suis excusable à cause d’un roman d’Amélie Nothomb qui reprend les âneries que je cite. Ce sont des clichés ridicules, je le reconnais volontiers.
J’ai été aussi induit en erreur par un gros ouvrage Braudel, qui lui est un chef d’œuvre, et qui nous explique que le climat a une importance considérable dans la naissance de nos société industrielles. Mais nous verrons cela un autre jour! Vous en savez sûrement autant que moi sur le sujet.
Je vous embrasse en ce jour de noël!
Vous êtes chouette, Raymond, si prompt à dialoguer.
J’écoute en boucle la chanson de Brel “Les Marquises”. Cette langueur m’habite…
Bonne et douce soirée, cher Raymond.
https://www.avoir-alire.com/les-marquises-jacques-brel
https://m.greatsong.net/PAROLES-JACQUES-BREL,LES-MARQUISES,18141.html
J’aurais voulu vous mettre la chanson en lien. On peut l’écouter sur le net mais pas de lien…
Oui, la chanson de Brel, je me souviens parfaitement du jour où elle a été lancée sur les ondes. Cet imbécile de Pierre Bouteiller avait refusé de la passer; il trouvait que tout le monde la diffusait et qu’elle n’avait pas besoin de sa “Haute” intervention, à lui Pierre Bouteiller.
Ce sont de très belles chansons issues de sa solitude soudaine, avec un côté plainte lancée vers l’infini des eaux, un bizarre mélange très réussi de blues et de chanson crooner. Elles sentent la mort proche et l’éternité.
Brel n’était pas ma tasse de thé mais là il m’a conquis.