C’est une caresse rude, bien sûr, une caresse cependant, ses bras, ses jambes, tout y passe, geste à la fois rustre et chaud, j’aspire l’air saturé d’eau et d’humus de ce petit bois où ils se sont réfugiés, on me saisit par les épaules pour me rapprocher du brasier fumant de mes vêtements, les voix reprennent, tiens c’est un violon là-bas dans la roulotte et je reconnais un air joué faux, crincrin rythmé, oui, c’est ça le chant, oui c’est lui : l’anacrouse relance régulièrement la mélodie que l’archet écrase jusqu’à toucher le bois, doubles cordes à casser l’instrument, et l’une des femmes esquisse quelques pas en rythme, s’approche de mes vêtements, les retourne d’un coup ; puis un homme prend la parole longuement, massif, moustaches, les jambes écartées, posé comme une statue, voix grave, langue opaque précipitamment coupée de « h » aspirés; on l’écoute en riant, visiblement il pratique l’ironie froide, le mot « police » surgit de temps à autre, ils éclatent de rire à chaque fois et lui, l’enfant, nu sous sa couverture, pose son menton sur ses genoux, et rêve de cette chaleur qui le tient enfermé à l’intérieur de la couverture protectrice, espère qu’elle va durer, la chaleur, le chant, c’est une même chose. C’est alors qu’il constate que le chant dont il rêve pour couvrir le silence remonte de nouveau, mais les harmonies sont plus subtiles qu’il ne le croyait, en bref ceci : dans le fond le remuement gras soufflé de la rivière, par-dessus le violon toujours aussi divinement faux, et dans l’entre deux, le lieu le plus beau, la voix de baryton lente puis accélérant par endroits jusqu’à se faire murmure, et – mais pourquoi ne l’avait-il pas remarqué plus tôt ? – le froissement large de la brise, frisson amical de mon corps retrouvé au milieu des hêtres dorés par le soleil d’avril, cet âge encore tendre de l’année où je suggère au printemps de ne pas précipiter son écoulement. C’est une prière que je formule, tandis qu’ils rassemblent les pièces dispersées du campement, un pneu ici, un sac là et des plats, des bouteilles, un quignon jeté vers un chien qui bondit, la musique ne cesse pas, le chant toujours le chant, allegro ma non troppo, je songe qu’ils vont partir et que c’est impossible ; le chien s’approche, me lèche le visage puis s’éloigne ; aucun effroi.