on voudra bien laisser aux arbres
la chance de se serrer
le fruit merveille tombé à deux pas
devient un nouvel hêtre
et plus les branches sont vastes
plus l’aventure de vivre à plusieurs
est au réchauffement mutuel des brindilles
au frémissement collectif des halliers
pour peu qu’ils aient été choisis
pas le hasard pour orner un vallon
ces quelques fûts font une forêt
ils s’engendrent à la verticale du soleil
s’emplissent des mille et un chants
cachés bleus sous les feuilles
c’est fou cette histoire
on dirait nous sans la plainte
on dirait nous sans le bruit
nos petites maisons champignons sont si belles pourtant
monotones c’est vrai
un toit pour quatre
il y fait doux
entends-tu le déclic joli qui file vers le printemps
au rythme de nos pas
le bonheur est dans l’entrée
bleu mésange rouge gorge par la croisée
au fait
de quoi te plains-tu
Les arbres sont vraiment vos amis, Raymond. Des hêtres j’ai le souvenir de ces fûts qui jaillissent droit vers la lumière, de peaux d’écorce lisses et grises, douces au toucher mais une absence de halliers là où ils poussent, plutôt des mousses, des jacinthes, des champignons ; le sol est très reposé autour de leurs racines un peu apparentes comme s’ils mettaient à distance d’autres sortes d’arbres. Ils règnent, là où ils ont choisi d’…être.
D’arbres, dans ce poème, vous souhaitez qu’ils soient serrés, que leurs branches se joignent pour faire abri aux oiseaux. Vous écrivez : “vivre à plusieurs au réchauffement mutuel des brindilles” comme si vous trouviez à ce temps d’isolement, de confinement une perte de lien, une disgrâce.
Heureusement, le bonheur est là, furtif : “un toit pour quatre/il y fait doux /entends-tu le déclic joli qui file vers le printemps”. Au seuil de l’être, toujours. Passer de l’un à l’autre, d’un paysage à un autre. Repos et passages… pour traverser vos propres limites. Une écriture dans l’entre-deux comme une blessure qui appelle l’être. pour respirer, voir la lumière, toucher l’eau, la terre, les arbres.
votre description des hêtres est parfaitement exacte. Tout à fait comme vous dites. Tout y est. Je me suis fait prendre par la beauté du mot “hallier”; je vais changer ce passage. hallier hélas ne correspond pas à ce que je veux suggérer: un ensemble d’arbres (le mot hallier n’est pas en soi plus beau que bien d’autres; ici il s’est imposé, c’est tout, mais il faut le changer, je vous suis). Je ne parle pas de ce que vous nommez si justement la disgrâce du confinement qui est isolement. C’est que je pense en parler ailleurs et autrement; mais je retiens votre mot: disgrâce. L’un est devenu à l’autre sa disgrâce, me semble-t-il. ce poème est un appel en plein hiver à se réchauffer. Vous dites entre deux, oui, existe-t-il autre chose que l’amour pour traverser l’hiver?
Le mot Hallier est une sauvagine portant en lui l’odeur des sèves, des bêtes, de la terre, des mousses, du bois. Il emporte votre poème vers l’inconnu. Mémoire et royauté de la harde. Le poète a toujours raison. Il rêve. “Rêveries d’un promeneur solitaire”…
“Hallier”: Le terme ne convenant pas tout à fait, je m’apprêtais à le modifier – un hallier ne peut être constitué d’un bouquet d’arbres – lorsque vous intervenez, pour dire, “non,non, n’y touchez pas. Ecoutez ses harmoniques”… rien ne me plaît davantage, car dans les nombreux poèmes que j’ai écrits, si j’avais le choix entre deux termes, ou cinq ou dix, je me les disais à l’intérieur, dedans ma caisse de résonnance – qui ressemble dans mon petit monde aux grottes paléolithiques – , et je choisissais celui qui consonnait sans m’attarder davantage sur le sens précis du terme élu. Contre le sens, je choisis le son. L’écho de l’écoute vaut mieux que l’expression exacte: le sens suivra toujours. Je trouve aussitôt semblable affirmation hautement discutable, mais je retourne à ce vice qui préfère l’oreille à la raison. Je n’entends que rarement les arguments, seule la musique me convainc.
Je me souviens, vous lisant, d’un souvenir d’enfance de Colette. Elle rêvait sur le mot “presbytère” jusqu’à ce que le monde des adultes (sa mère, je crois) lui révèle qu’elle l’employait en dehors du bon sens. Suivait la tristesse de l’enfant qu’elle était alors.
Vous avez la chance d’écouter le langage en musicien. Monde des métamorphoses… nous permettant, vous lisant, d’exercer un droit de suite. Une présence advient là où le mot n’avait qu’un habit. Mouvement de ramure, froufrou d’oiseaux transposant dans un mot une gamme de solutions sonores et visuelles, rendant présent ce qui est absent sauf dans la trame de vos rêveries. Analogies intuitives réduisant le foisonnement des différences.
Vous lisant, je me fraie un chemin dans le fouillis des “halliers” de la langue.
Merleau-Ponty écrivait dans ” L’Oeil et l’Esprit” : “Le propre du visible est d’avoir une doublure d’invisible qu’il rend présent comme une certaine absence.”
https://fr.m.wikisource.org/wiki/La_Maison_de_Claudine/6
Voici le texte, pour le plaisir !
https://www.hebdo-blog.fr/presbytere-reusement-lalangue-rectifiee/?print=print
Et cette très belle exploration. Êtes vous plutôt Leiris ou Colette ?
L’emploi du mot “hallier” me semble aussi en lien direct avec votre premier désir : “laisser aux arbres / la chance de se serrer”.
Merci pour ce bouquet d'(h)êtres…