Égale Genève 

Après la nuit intérieure du train gris, le tendre éveil de Genève vient crever l’immense vallée que le Rhône tout jeune fait sourire. Le fleuve se perd puis se retrouve, optimiste murmure des eaux mêlées qui chantent l’amour et la joie du corps à corps: le fleuve rencontre la large rive du  lac, homme et femme. C’est l’apaisement après la vigoureuse ruée hors des Alpes. Il semble alors en cette fin novembre que l’automne n’aura jamais été plus beau. Le lac de Rousseau tout de soleil vêtu laisse boucler sur ses solides épaules alpestres des suites de vrilles fantaisies – coiffure exubérante-  aux teintes brunes que le silence exalte et les monts  caressent tendrement la laine argentée des flots, prêts à être saisis par une main audacieuse ou un regard enfin un peu curieux. Les rages aux rocs ne sont plus de saison. L’année agonisante s’en vient céder, comme le fleuve contre l’île de Jean Jacques, statue plantée en pleine ville. 

Je reste longtemps à ses côtés, espérant qu’il va me tendre le livre qu’il tient sur son genou, avec son sourire serein, ‘Les Confessions’ sans doute, qui lui valurent tant d’hostilité, alors qu’il s’agissait de vérité crue, pure, transparente comme l’eau du lac. Jean Jacques mon ami, si tu savais comme tu as su m’aider lorsqu’aux pénibles rebuffades de ma jeunesse j’ai pu trouver dans ton texte la joie d’affronter ceux que tu appelais de ce mot enfantin et magnifique de candeur: les méchants. Alors je recourais précipitamment à ta prose mélodique, alors je m’élevais au dessus de tout ce qui fait la cruauté de nos destinées sociales. Tu me prouvais que j’étais en droit de revendiquer la culture et l’intelligence des choses et des hommes, malgré un statut social peu reluisant. Ma maigre fortune me devenait presque un avantage puisque j’étais comme toi!

Ce solitaire qui nous fit tous égaux, dicte dans le bronze l’apaisement qu’on lit au Léman. Tous les hommes comme toutes les vaguelettes sont à égalité. Le génie, enraciné dans son île, livre en main, nous laisse décider dans le doux Genève ce qu’il adviendra de nos hésitations derrière nos chances équivalentes; la ville à l’accent grave sourit pour encourager les amis attentifs, ceux qui nomment Rousseau ‘Jean-Jacques’(y’a -t-il d’autres auteurs qu’on nomme par leurs prénoms?), ceux qui adressent toute leur tendresse vers le penseur, vers celui qui fut tant privé de mère. Il a projeté jusqu’à nous le beau sourire d’ici. Je m’approche, laisse l’eau du lac mouiller ma chaussure, j’effleure sa république en souriant. 

J’ai eu de la chance d’avoir le genevois pour penseur préféré. Il m’a grandi. Son chant résonne en moi tant que je vivrai. Il a justifié à lui seul le droit de m’exprimer, merveilleuse présence.

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