(merci à Christiane pour cet envoi)
C’est un créateur hors norme dont les œuvres, sculptures ou toiles géantes choquent, dérangent. Je l’avais découvert en 2007 au Grand Palais, à Paris. Tout cet espace immense pour lui. : Monumenta ! Des amas de béton partout, des barbelés enchevêtrés ,une atmosphère de désolation. Des tentes disséminées où découvrir son œuvre. Partout des phrases extraites des poèmes de Paul Celan.
Toiles emplies de paysages brulés formant murs de matière, impénétrables. Neige ensanglantée. Terre sillonnée et désolée. C’est une matière brute, violente, primitive. Strates recouvrant des strates.Avions détruits en plomb. Livres en verre brisé. Tournesols calcinés. Cendres et paille. La terre allemande en souffrance, ravagée par la guerre. Kiefer met en scène la catastrophe , lamutilation par le génocide. Mémoire du nazisme. Effondrement des valeurs humaines.
La série « Magarete et Sulamite » m’a bouleversée. Cheveux et cendres pour l’une, paille dorée pour l’autre.
Quelques vers de Celan (Pavot et mémoire):
« Un rien
Nous étions, nous sommes, nous resterons en fleur
La rose de rien
de personne. »
Puis le ciel etoilé « Sternenfall / La chute des étoiles » (entre chute et lumière). Ciel de plomb qui écrase l’espérance.
Comme l’écrit votre cher poète, Hölderlin : « Ce qui demeure, les poètes le fondent. »
Todesfuge / Fugue de mort.
La pensée juive comme un antidote contre cette catastrophe de l’Histoire du XXe siècle. Absurdité des guerres, des massacres.
Deux hommes qui travaillent la matière de mémoire, l’un avec des mots, l’autre avec de la glaise sombre.
Et pour Kiefer, comment être un artiste allemand après l’exploitation de l’art par le national-socialisme ?
Question que vous avez subtilement posée dans votre recueil bilingue avec Helmut Schulze « Le Chemin / Der Weg » même s’il s’agissait de la guerre de 14/18..
Cette question traverse le travail de Kiefer.
Cette nouvelle exposition au Grand Palais, annoncée par Paul Edel, illustrée par JJJ, semble esquisser un désir d’ascension spirituelle. Le songe de Jacob ? L’art peut-il prendre son envol ?
Une œuvre qui interroge la souffrance d’un passé proche et lointain.
Comme l’écrit Margotte, « c’est glaçant ». Un artiste qui m’entraîne dans un labyrinthe. Est-il Dédale, Thésée ou le minotaure ?
L’extrait de poème est une partie de “Psaume”, poème édité dans le recueil “La rose de personne” traduit par Martine Broda. Édition bilingue José Corti, publié sous la direction de Maurice Olender.
Oui oui oui! Je l’ai porté en moi jusqu’à savoir ce psaume par coeur; et puis je l’aurais presque oublié, tant il m’attriste, mais non, c’est faux, il ne m’attriste pas vraiment, puisqu’au contraire il porte une manière constat puissant et fragile à la fois; toute l’humanité.
De “Pavot et mémoire” , publié en édition bilingue chez Christian Bourgois, le bouleversant poème inclus dans “Fugue de mort / Todesfuge” évoquant les deux jeunes filles allemandes :
“Il écrit quand vient le sombre crépuscule en
Allemagne tes cheveux d’or Margarete
Tes cheveux de cendre Sulamith nous creusons une tombe dans les airs on n’y est pas couché à l’étroit”
Ces poèmes de Paul Celan sont traduits de l’allemand par Valérie Briet.
Je me souviens bien de cet appel, c’est terriblement troublant. Cette tombe dans les airs… elle fait presque mal aux doigts rien que de l’écrire sur le clavier.
Sous ces tentes (ou cabanes) l’une m’a fascinée, celle nommée “sternfall / chute d’étoiles).
C’est là que ces livres immenses et lourds, en plomb, prêts à s’écrouler offraient des pages brisées jonchant le sol, des plaques de verre. Pourquoi ce lien avec la chute d’étoiles ? (Le titre de l’exposition). Là aussi La bibliothèque inquiétante soutenant ces livres de plomb si lourds qu’aucun humain n’aurait pu les porter, les ouvrir.
Tout était lié : des livres de plomb, ces verres brisés et la structure de la nef du Grand Palais de verre et d’acier.
Plus loin, une autre cabane abritant un ciel étoilé. Immense toile. Des nombres partout… et encore du verre brisé et encore des tournesols calcinés. Cœurs d’étoiles arrachés…
A Washington o j’avais vu l’avion lourd, il y avait en effet les livres de plomb. Pourquoi avais-je oublié? Merci de me le rappeler. Quelle histoire! C’est vraiment le centre du propos. Quelle histoire !
sternenfall
Daniel Arasse disait que les poètes cités dans les cabanes (Paul Celan, Ingeborg Bachmann), Nourrissaient la “mémoire sans souvenir” d’Anselm Kiefer. Oui, il a dû se réapproprier le passé par ce travail de création., libérer son émotion, pour questionner l’identité allemande de l’après-guerre.
Cette expo se calquait sur son atelier, une ancienne briqueterie en Allemagne, puis à Barjac, en France, ses lieux d’expérience et de création.
Le grand Palais était devenu son atelier, arrêté.
Ce n’est pas la beauté qui préoccupe Kiefer mais la mémoire contre le refoulement.
Vous voudrez bien me dire l’ouvrage de Daniel Arasse que j’aime beaucoup et dont vous parlez. La fameuse formule d’Adorno, sur la poésie impossible après la shoah; j’ai le texte sur mon bureau, à portée de main. La “mémoire sans souvenir” est une formule étonnante. Mais c’est bien ça en effet. Vous mentionniez récemment le plomb, avec son pendant le saturnisme. Oui, oui, cela m’impressionne beaucoup. Le poids du non envol et la mélancolie, quelle association! Bravo!
https://www.franceculture.fr/oeuvre/anselm-kiefer
Je n’ai pu l’acheter, trop cher pour ma bourse mais cette émission explore bien ce grand livre que j’ai quand même feuilleté. J’apprécie le regard de Daniel Arasse sur les oeuvres d’art, ces détails qu’il révèle et que personne n’avait remarqué.
En réalité, celui-ci je l’ai. (Acheté lors de l’exposition) c’est un autre livre de D.Arasse sur l’art que j’ai convoité.
Beaucoup de mes réflexions sur Kiefer sont nées en explorant cette lecture et en étudiant les photos des œuvres d’une grande qualité.