Ce n’était pas des héros, ils avaient comme moi peur de mourir, mais eux ce fut fatal très vite sans qu’ils y songent et leurs amours qui s’en souvient, visages entrevus au village, cette frimousse qu’ils emportèrent sous la mitraille pour se donner du coeur. Je chante l’aujourd’hui pour nouer un lien avec eux, ils n’étaient pas de notre temps, libres à leur manière, ils s’enchantaient des saisons, même en ce lieu qui leur fit perdre la raison, et nous, en 2019, au Chemin, si nous chantons, c’est que la raison nous manque aussi en longeant les cimetières, en évaluant à travers leurs dates, l’épouvante de leur jeunesse noyée dans la vague noire qui les emporta. Ce trait d’union entre leurs deux dates, c’était quoi? Dites.
Catégorie : Actualité
le livre à venir (6)
Si un poète allemand est venu me rejoindre, c’est qu’il sait bien que nous sommes des hommes, lui et moi, en d’autres temps soldats potentiels, nous eussions pu être ennemis. Il sait que notre appartenance locale nationale est un pauvre vernis qui n’empêche ni la mémoire ni la vie de se déployer et que le vide des vieilles querelles peut être empli de nos chants qui résonnent de leurs étranges langues d’autant plus qu’ils sont d’aujourd’hui, ouverts, habités de l’inquiétante étrangeté qui est la vie même avec son cœur noisette et ses jours inspirés. Ce recueil dit donc le terrible événement mais tout autant le chant de secours qui nous vient quand on n’en peut plus, de trop se souvenir.
le livre à venir (5)
Nous allons recommencer à rêver, nous rêverons pour eux, avec eux, dans ces textes hallucinés que l’on peut appeller des poèmes si l’on veut, mais ce sont des histoires, des scènes où on les voit vivants, où ils content leurs misères et leurs joies, leurs petites joies minuscules hantées de la terreur imminente. Je me demande si leur condition est si différente de la nôtre présente… oui la leur est éphémère, donc parlons racontons, chantons, nous, les vivants, leur affaire brève, leur épouvante monstrueuse. Nous leur devons bien ça, au moins ça, ce filet de voix doubles qu’est ce recueil bilingue.
le livre à venir(4)
Il faudra bien que l’on s’habitue à écouter chanter les vers sans rime ni ponctuation, car une musique nous habite, nous devons la greffer sur ce recueil pour que l’on puisse en effet reprendre les témoignages de ce temps que nous ne vécûmes pas et qu’ils vécurent à peine. Nous vivants nous réinsufflerons de notre haleine douce de vivants attentifs, ce chant presque tranquille, récitant des vers de ce recueil pour faire rechanter ceux qui chantèrent si peu. Nous irons au bois, eux n’irons plus, donc chantons pour eux aujourd’hui maintenant.
le livre à venir (3)
C’est un appel à aimer le Chemin, à aller sur le Chemin des Dames pour écouter ce que racontent les arbres et les herbes et nos pas de vivants qui résonnent au vallon. Je n’ai pas mis de rimes ni de ponctuation car je veux que le lecteur s’y retrouve seul sans béquille face à la tragédie humaine, face aux coeurs battants qui soudain ne battirent plus, et le lecteur aura alors l’impression d’être nu, à nu au milieu de l’océan des blés. Chaque coquelicot sera une goutte de sang, son aura durera alors ce qu’auraient dû durer ces vies cassées, brisées, mordues par la mitraille.
le livre à venir: Le Chemin(2)
Il serait absurde de croire que ces poèmes sont seulement des poèmes sur 14-18. Notre temps flotte constamment là devant, c’est nous maintenant par rapport à l’évènement qui s’est produit entre 14 et 18. Notre temps est au centre. Les vers ne sont pas rimés ni ponctués, les vers racontent, non, ils chantent, non, ils échangent des plaintes, car être vivant en 2019 peut sembler très proches des misères de ce temps effroyable. Se promener au Chemin dit des Dames c’est s’enchanter s’enrouler s’emballer de la tragédie, y puiser un nouveau chant qui ressemble à notre condition présente de vivants, car les vivants ont pour tâche première de témoigner. S’ils ne le font pas qui témoignera des jeunes gens assassinés?
soutien au livre à venir (1)
Aidez-nous à faire entendre leurs voix. LE CHEMIN.
voici un projet magique dix huit poèmes que j’ai écrits (français, traduits en allemand) qui font parler les jeunes gens massacrés et leurs parents et les villages et tout ce temps qui résonne encore dans nos mémoires. C’est un hommage franco allemand, illustré avec intelligence et sensibilité, ne pas aller au chemin des dames sans emporter ce précieux viatique, car le Chemin c’est aussi le nôtre aujourd’hui maintenant. La poésie du recueil très limpide nous y autorise. C’est notre aventure, c’était il y a cent ans mais c’est encore aujourd’hui. Ne pas se dérober est un devoir, les regarder bien en face – les petits – est la dignité qui habite notre mémoire.
Laon ou la cité intérieure
Ce livre est une avancée poétique qui ouvre sur un monde de pensées et de rêves à partir de l’obsédante présence des traces de la
cité du moyen âge. Il y est question des bœufs, des vitraux, de l’ombre des remparts et pourtant ce n’est pas vraiment de l’histoire,
puisque je m’efforce de pénétrer dans le pays imaginaire qui court depuis l’intérieur du monde médiéval jusqu’à nos jours, rêveries où le
passé réfléchit notre temps, explorant nos existences en un miroir d’intimité qui nous renvoie constamment à notre fragilité contemporaine.
Le chapitre IV de Laon ou la cité intérieure a été publié en 1991 par la NRF N° 465.
L’Aisne et Laon: un sérieux problème d’identité
L’Aisne est un département qui vote FN en majorité. Nous sommes champions de France avec le Pas de Calais. C’est dû au fait que les gens s’y sentent mal ; ils n’ont pas de sentiment d’identité. Il n’y a aucun rapport de “parenté” entre un habitant de Chateau Thierry et un habitant de Hirson. On dirait deux planètes ; se sentir axonais relève du tour de force. Les habitants ne se reconnaissent pas dans un unique pays ; ils n’ont pas de pays cohérent ; aucune autoroute par exemple ne traverse le département du sud vers le nord ; on ne se sent pas chez soi, il n’y a pas de chez soi, il n’y a pas de communication (la RN2 est une dérision) ; on y perd le nord et on n’y gagne aucun sud ; aucun rapport entre les meulières du sud avec leurs vignes fermement alignées et les rouges maisons de brique du nord au milieu des gras pâturages. Il semble impossible de manger du Maroilles en buvant du champagne et on ne boit pas le lait dans une coupe. L’Aisne dirait-on est un pays qui ne cesse jamais d’être en transition, entre une identité champenoise (supposée « riche ») et une identité du nord (supposée « pauvre »). Ces tensions, rivalités et incompréhensions de l’Aisne en font un département trouble, forcément trusté par les extrémistes. Rien de plus naturel, a-t-on envie de dire, sous l’Aisne coule la haine.
La rivière Aisne qui donne son nom au département prend sa source dans la Meuse (!) et traverse le département dans sa partie sud, elle ne peut en aucune manière être un lien pour le département. La géographie indique de plus que les deux rivières qui donnent leurs noms aux deux autres départements de Picardie prennent leur source dans l’Aisne. On s’y perdrait pour moins que ça ! Et voici que surviennent les tout récents Hauts de France, fausse bonne idée, pas si vite, Monsieur Bertrand, laissez-nous respirer, d’autant que « les hauts » ne ressemblent à rien du point de vue purement géographique. « Ajoutons le trouble à la confusion il en sortira peut-être quelque chose », pensent nos lointains édiles.
On pourrait sourire du choix de Laon comme préfecture (voir les nombreux débats du passé), mais Laon de son côté souffre de n’être pas une ville ; c’est une cité. Une cité médiévale peu extensible sur son plateau limité et au bas de la robe splendide du plateau, on a donc un éparpillement de quartiers qui ne ressemblent pas à une ville habituelle (avec une place centrale et des quartiers reliés entre eux qui serait le schéma normal ) d’où les débats justifiés et interminables sur le Poma : c’était enfin un lien du bas vers le haut, de la cité vers les quartiers émiettés ! C’était moins pratique que symbolique certes (seul le quartier de la gare était concerné), mais la symbolique dans les problèmes d’identité, c’est capital. On nous l’a ôté pour des raisons économiques alors que les vraies raisons de sa présence étaient de donner un semblant d’unité à la ville (cordon ombilical !). Avec le Poma cela commençait à ressembler un peu à une ville comme les autres et là de nouveau on nous recasse une identité laonnoise déjà bien laborieuse où le plateau se cherche encore un commerce vivable au milieu des splendeurs.
Pourquoi le président marche-t-il seul dans la cour pavée du Louvre ?
Pourquoi le président marche-t-il seul dans la cour pavée du Louvre ? Son mouvement s’appelle : “En Marche”. Tout ça remonte au monde antique pour le moins. Il s’agit de souligner le pouvoir en fondant avec son avance physique (est-il encore un homme comme les autres ?) un espace dans lequel il va marcher seul, ce sera un espace de SACRE qui mimera la distance entre le vulgum pecus et le chef. Silence, vide et solitude : la solennité est à ce prix. Être élu, peu importe à quel poste, donne immédiatement un zoom arrière à la personne élue qui ouvre sur ce vide qui sépare gouvernants et gouvernés. La cour du Louvre sur laquelle j’ai déjà moi-même marché ne m’a pas donné ce sentiment d’être sacrée; mais là hier soir, c’était la voie sacrée, il va chercher l’ombre de l’histoire séculaire qui prépare à la lumière du présent; l’avancée de son pas répète en outre l’avancée de Macron dans la prise du pouvoir, peu à peu, lentement, avec la musique de la neuvième, et tout a donné soudain cette parole: “Je viens de loin, je suis exceptionnel, je le mérite, je suis élu (presque au sens religieux), soyez heureux et trouvez en moi le recours contre les difficultés de la vie”.
Car il faut du sacré, les Français adorent ça. Ils se croient en démocratie et ils y sont en bonne partie, mais ils imitent toujours la geste des rois. Et pourquoi cela ? Parce que nous avons guillotiné un roi et parce que ce que l’on demande à un chef ce n’est pas seulement de commander mais de représenter aussi un rempart contre le temps qui va (dépourvu de sens) et finalement un rempart contre la mort (c’est le rôle de la reine d’Angleterre pour ce pays étrange). Le pouvoir est lié à la mort, d’où la gravité obligatoire. Il y a une allée de cimetière dans le pouvoir qui avance, un allant de cathédrale, quelque chose qui éveille en nous une très vieille chose archaïque, l’admiration que nous avions enfant envers les grandes ombres qui nous tutoraient, car il fallait bien à notre imaginaire un sens : nous levions alors la tête et nous trouvions à notre tremblante existence un appui solide. Il faut que le ciel soit habité sinon c’est la désolation (la vraie paternité, si souvent aujourd’hui dérobée, est à ce prix).
On devine l’erreur monumentale de Hollande avec son président normal ; il n’a jamais saisi la dimension imaginaire de son poste. C’était un imbécile, inhumain à force d’inculture et de bêtise ; un vrai personnage de Flaubert. C’est seulement maintenant qu’on le voit ; Macron est son critique le plus absolu, non en paroles mais en actes, ainsi qu’on l’a vu dans son “avancée” à deux pas des pyramides ; car c’est toute l’histoire occidentale qui vient donner son onction à Macron. Il donne imaginairement l’impression d’avoir vaincu le temps et la mort (les pyramides sont des tombeaux) ; c’est ce qu’on attend de lui. C’est ça le pouvoir. Son avance préfigure ce que seront les cinq années à venir ; marche triomphale ; en fait on n’en sait rien du tout (!) mais l’essentiel est d’y faire croire, non en paroles mais bien mieux en avançant, en marchant.
“En marche” est décidément une trouvaille formidable.
On se souvient que Mitterrand en 1981 avait avancé semblablement dans la crypte du Panthéon. Il était vieux, il se confrontait à la mort et ses roses anticipaient sur celles de sa propre tombe. Macron n’a pas besoin de ces pauvres expédients. Il marche à la hauteur de la réplique postmoderne des tombeaux égyptiens ; il les domine de la tête et des épaules, leur nuit ne l’atteint pas, il est jeune, il est la lumière et, en étant élu, il est sorti de l’ombre. Il va pouvoir se présenter ensuite à la vraie lumière publique pour affirmer le pouvoir avec joie et insolence, rayonnant. Son rêve est sans doute alors de fonder un mythe. La suite dira si ce fut le cas.
Le débat du 3 mai
Mémère fouilli fouilla a tout mélangé, elle n’avait aucun ordre, aucune logique, aucune tactique sinon l’insulte et encore l’insulte. Cette femme ignore le rationnel, l’ordonné et ne fonctionne que par ragots, non-dits qu’on « ose » dire et rumeurs que sa famille étroite entretient ; elle est restée la fille à papa maman élevée à Montretout à coups de fantasmes et d’idées toutes faites sur le monde et la vie sociale. Ses mots sont des clichés, des stéréotypes qu’on se repasse depuis février 34 ou Vichy et qui servent de grille d’expression pour tout ce qui arrive. Il n’y a aucune réflexion, aucune intelligence, aucune prise de distance par rapport aux événements du monde. Elle a des réponses pour tout, elle sait dans le tréfonds de son cerveau tortueux le mot qui convient (!): c’est toujours une ânerie ou une insulte. Elle n’aime pas le monde et a envers les gens ce sourire mauvais qu’on lui a vu mercredi soir et qui traduit au fond un immense malaise de devoir s’exprimer intelligemment et rationnellement… pour la première fois dirait-on. Elle parle comme ça lui vient, sans ordre ni raison. Elle rit d’un rire faux, son ironie est grossière, on sent qu’elle a toujours vécu dans le même monde étriqué et ricanant de sa tribu qui ne tolère pas l’Autre, le différent.
Caton, agressé en public, comme il ne se révoltait pas, ses amis lui disaient de réagir : « Que voulez-vous que me fassent ces crachats, dit-il, cela ne me concerne pas. » Comme les anciens grecs ou romains, Macron ne relève pas la vulgarité – cela reviendrait à lui conférer quelque efficacité – il répond sur le fond, se moque absolument de la cruauté stupide de sa concurrente, avance presque naïf(!), droit et dans une langue impeccable. Il est déjà président. On dirait que les insultes sont comme des mouches qu’il chasse d’un revers de main. La voix est posée, l’attitude ferme et toujours souriante. J’ai cru parfois qu’il se moquait de l’incompétence de mémère, mais au fond il sentait qu’il avait déjà partie gagnée car elle ne proposait rien, s’énervait contre lui ; il laissa faire… ce qui l’a pourtant amené à un moment, à propos de l’écu, à faire preuve d’une ironie cruelle, fausse naïveté étonnante, où il a pris l’ascendant sur elle de manière presque violente alors qu’il ne proférait aucune insulte, à peine un sourire. Le sourire suffisant de Macron m’a fait de la peine… pour elle ! Oui, malgré sa sottise, j’ai eu pitié d’elle ; à cause de sa sottise devrais-je dire. Il l’a ridiculisée, elle, la terreur inconsciente des braves petits bourgeois comme moi qu’effleurait l’idée fataliste que ce serait peut-être elle. Mais non, ce ne sera pas elle. Le sourire de Macron l’a annihilée, dévorée tout crue. Elle est apparue nulle, rance vieille France, tout droit sortie de cette rancœur des crétins qui devinent obscurément que le monde tournera sans eux parce qu’ils sont décidément incompétents.
Nous avons ENCORE le choix mais ça n’est pas un choix
Cette semaine nous avons encore le choix (Lepen-Macron), mais nous n’avons pas le choix (il faut voter Macron) si nous voulons continuer à avoir le choix (démocratie).
Toute société grande ou petite a deux options fondamentales : l’ouverture ou la fermeture. La démocratie est forcément ouverte. Lepen c’est la fermeture, les murs en vrai (prison), les murs dans la tête (dictature).
Pour la société de Lepen rien n’est assuré, ni la liberté, ni la poésie, ni la beauté, ni la joie individuelle, rien. Une fois au pouvoir, ceux qui chipotent en ce moment(« Lepen et Macron c’est du pareil au même ! » ) seront les premiers à subir la répression de la nouvelle manière de vivre : et nous serons pauvres, enfermés, enclos, loin de l’Europe.
Je subodore que ceux qui disent « Macron-Lepen c’est pareil » en rêvent d’avance, ils se lèchent les babines du malheur à venir. « C’est bien fait pour vous, songent-ils, fallait voter Mélenchon. » Et puis, peut-être pire la folie de ceux qui s’ennuient: « Ah, il va enfin se passer quelque chose dans nos vies ternes et mécaniques. » Ils font presque croire que c’est un jeu, alors que c’est l’horreur.
La légèreté du propos confond : non, Macron-Lepen ce n’est pas pareil. Macron rendra le pouvoir. Lepen ce n’est pas sûr du tout. Les dictateurs ont rarement lâché le pouvoir à la suite d’un vote contre eux ; revoyons nos livres d’histoire, c’est presque la seule loi que respecte l’extrême droite ou l’extrême gauche ; une fois en leurs mains sales, le pouvoir n’est plus transmis démocratiquement.
C’est ce choix et aucun autre qui nous est proposé. Macron, ce n’est pas un choix. Il n’est plus temps de choisir. Il faut y aller résolument, sans hésiter, sans trembler.
Brexit
Qui répond « oui » à un référendum passe pour un minable, une lavette qui se laisse influencer par un état manipulateur qui, c’est bien connu, ne veut que le mal de tous ses citoyens. C’est un type aussi bête que celui qui avouerait candidement qu’il « croit » à la publicité. En bref il est victime du complot et on le plaint avec beaucoup de condescendance de croire en la « société ». Il ne sait pas.
Qui répond « non » à un référendum est un esprit fort, original, qui s’affirme contre le monde en révolté de la « société » qu’il est (un indigné !) et qui ne s’en laisse pas conter par le « système ». Il croit qu’il n’est pas influençable par la publicité, pense que les gens sont tous des riches très méchants, en bref il ne s’en laisse pas conter par le « the » complot, c’est un individualiste plus malin que les autres. Il sait.
Dans la vie quotidienne c’est pareil : tu dis « oui » t’es un qu’un béni oui oui, un abruti qui approuve tout, une couille molle. Tu dis non tu es une « personnalité » qui sait ce qu’elle veut, un « mauvais caractère », « quelqu’un ».
Religion
La religion est une blague. C’est un produit de l’imagination inventée par les hommes pour des raisons de communauté, de vivre ensemble obligatoire et de nécessité de donner de l’espérance aux plus démunis. C’est que la vie n’a aucun sens au ciel suspendu au-dessus de nos têtes. Je sais bien que c’est l’espace le plus vaste qui nous soit donné de voir et donc il nous intrigue, mais ce ciel n’a aucun sens. Il n’y a aucune transcendance ; c’est une plaisanterie. La mort nous attend sans aucun espoir d’autre chose, je vous en assure. Le paradis est une blague inventée pour que les êtres humains nostalgiques de l’enfance supportent la vie comme elle vient.
La religion est une invention de la force, donc au départ masculine : dieu le père ; les hommes sont physiquement plus forts que les femmes, donc ils imposent leurs conneries. La question des hommes « forts » fut toujours : Qu’est-ce que je vais bien pouvoir inventer pour m’assurer de l’obéissance des femmes, ces êtres fuyants (!) et qui font l’objet de tous mes désirs ? Donc la religion en profite pour faire chier les femmes. Pour assurer sa maîtrise elle tape systématiquement au-dessous de la ceinture : toujours, tout le temps, partout ; dans la moindre religion il est question de cul ; le religieux veut savoir ce qui se passe sous la couette ; le religieux est plus obsédé que la plupart des êtres normaux. La religion est obsédée par le cul ; contrairement à moi elle ne pense qu’à ça.
La jalousie lui tient lieu de bible. La Bible est comme La Recherche : hantée par la jalousie. Au couvent et dans d’autres superstitions on voile les femmes. Le mâle ou dieu se les veut pour soi. Ce faisant on les rend désirables ces fameuses femmes si mystérieuses(!) : puisqu’on les cache c’est qu’elles doivent être belles et c’est ainsi que l’on exaspère le désir, ce qui rend les hommes à demi fous et leur fait faire bien des bêtises… politiques par exemple. L’énergie est alors dirigée par le biais de la religion vers des conneries, qui, comme les guerres dites « de religion » (XVIème siècle), nous laissent à peu près indifférents.
La religion aide les miséreux à supporter leur sort ; c’est très émouvant. Je le dis sans ironie. C’est là où les antireligieux ont tort : la religion est très utile à la psyché des enfants attardés que nous sommes tous. En cas de malheur on a recours au ciel. C’est un psy gratuit. On lève les yeux, on prie et lentement la guérison vient. Ou la mort. Donc, j’y insiste, la religion est très utile. C’est du rêve. C’est beau, franchement c’est beau. D’ailleurs la religion a produit des édifices sensationnels et des œuvres picturales et musicales splendides. Quand même, les cantates de Bach, les cathédrales gothiques… ben oui, ces fiertés qui nous rendent heureux d’être des hommes sont bâties sur du sable. Le dieu derrière est le fruit de l’imagination des puissants, des rêveurs, des poètes : si les œuvres sont admirables, le motif premier est une absurdité, ça n’est rien que du vent, un pet de nonne.
Fragile démocratie
Notre démocratie est-elle à ce point fragile qu’une partie très minoritaire de notre population (8%), originaire d’une autre culture, la bouscule à ce point ? Oui elle l’est. Et pour d’étonnantes raisons. La démocratie ou la République, peu importe ici, exige de ses citoyens qu’ils soient adultes. Qu’ils affrontent leur destin d’êtres mortels. Car la fragilité de notre système est qu’il ne répond pas aux questions que nous posions enfants et que François Béranger chantait ainsi il y a bien longtemps : « A quoi ça sert de vivre et tout / A quoi ça sert en bref d’être né ». Ces questions trouvent une réponse automatique dans la religion. La démocratie, elle, nous arrange la collectivité, le fameux « vivre ensemble », mais n’est pas là pour habiller le ciel d’une valeur transcendante ; elle dit respect, liberté égalité fraternité ; ce sont des valeurs mais pas des instances qui peuvent être explorées par une théologie quelconque. Quant au reste, semble-t-elle dire, écoutez, vous êtes assez grands pour vous trouver des raisons de vivre, débrouillez-vous. La mort est naturelle et ce n’est pas de mon ressort. Le sens de votre vie trouvez-le si vous pouvez ; moi démocratie je ne suis pas là pour ça, moi je suis là pour vous faciliter la vie avec les autres et donc par-là votre vie au mieux de votre liberté. (D’où la séparation de l’Eglise et de l’Etat, si originale dans notre étrange pays).
Habitués que nous sommes par la publicité, l’informatique et la télé à avoir des réponses à tout, nous oublions que nous sommes des êtres de questions. Pourtant nous avons des écoles qui nous apprennent à nous interroger (culture) et des parents qui à leur manière nos amènent vers l’âge adulte afin qu’ensuite nous puissions agir en toute liberté dans le questionnement. Voilà les principes. Voilà l’idée modeste et ambitieuse à la fois : le mammifère humain met 18 ans à devenir adulte et l’éducation démocratique consiste à maintenir ouvert le compas de l’existence et de la pensée afin que mes choix s’opèrent en toute lucidité, selon mon tempérament. La complexité est notre lot. La perplexité est notre destin. Il n’est aucune réponse aux prétendues grandes questions (qui sont, pour dire le vrai, des questions d’enfant) ; Haroun Tazieff disait avant de mourir en roulant les « r » avec une ferme volupté – lui qui avait exploré les abîmes – : « On est là pour rien ». Il faut l’admettre et tenter l’aventure du bonheur.
A contrario, la religion, elle, d’un coup de baguette magique, peuple le ciel. Elle s’appuie pour ce faire sur les grandes ombres qui peuplèrent notre enfance. Enfant j’étais désarmé, j’avais besoin d’aide et de grands bras me changeaient, me parlaient, m’assuraient de ma fragile petite personne. Les dieux sont dans la nurserie. C’est aux couches que l’enfant s’habille de foi. De cette période j’ai gardé l’illusion que je n’étais jamais seul, que j’étais un roi qu’on dorlotait, que le monde avait un sens affirmé par les deux voix. Or, il n’en a aucun. Et la tâche de l’adulte est de s’y faire, de garder sa dignité sans en rajouter. Il n’y a pas de dieux à voir ? Mais c’est notre chance. Nous allons librement et courageusement, sans béquilles divines, avancer vers la mort. La curiosité, l’enrichissement seront nos vraies valeurs. Nous aurons du bonheur aux plus belles choses du monde (art, pensées, questions, rencontres, amours) ; et pour bien être adultes nous oserons ne plus penser à la mort sur le modèle de Montaigne à la fin de sa vie : « … que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait. » (III, 13). Nous agirons librement sans penser à notre finitude, car il n’y a rien à penser de ce côté-là.
Quant à croire, mon dieu… Jean Pouillon disait : « Croire c’est ne pas croire qu’on croit ». Car si l’on croyait qu’on croit (comme on croit qu’il va pleuvoir) ce ne serait pas une certitude. Croire est une contradiction dans les termes. Ne t’attarde pas à ces billevesées, c’est ton enfance, c’est ta geste naturelle, certes, mais tu es adulte désormais, tu es un être de conscience, avance, n’aie pas peur, ne redoute pas ce que l’on appelle le ciel vide car tu es déjà en train de considérer le ciel d’un point de vue théologique, tant est aisé le retour en arrière, et si tu veux à toutes fins que le ciel soit peuplé prends le point de vue de l’astronome, au moins celui-ci te sera utile à la compréhension rationnelle de l’univers.
Notre démocratie s’appuie sur l’éducation qui devrait nous préparer à affronter notre destin d’êtres mortels. C’est le décor sur lequel nous pouvons déployer notre liberté. Elle exige ce courage que Kant évoque dans le célèbre : Was ist Aufklärung ?, là également que se déploient les notions de minorité et de majorité (ramenées ici à enfance/adulte). Cela dit, les athées ont tort de se moquer : la religion a son utilité ; elle console, elle berce, elle borde le lit des croyants, elle les dorlote. Pourquoi faudrait-il à tout prix ôter à nos contemporains égarés une once de douce régression ? L’illusion a ses vertus.
Nos législateurs dans leur sagesse ont séparé nettement le religieux du politique. Ce qui fait retour, en ces temps de grave discorde, c’est l’enfance de l’esprit. Il est vrai que la publicité, l’entertainment généralisé, le tout tout de suite de la consommation n’aident pas à penser. Or, il faut méditer. La dictature dispense de penser, c’est son attrait, son maléfice. La dictature dit : c’est simple, donne-toi à moi. La démocratie dit : c’est compliqué, ne te donne qu’à toi-même. La démocratie est effort pour dominer ce « rien n’est jamais acquis » qu’est notre existence quotidienne. Les enfants gâtés exigent une réponse et nous disons : tes mains sont vides, remplis-les de ta richesse et n’attend pas d’un improbable transcendant une aide quelconque. La leçon est rude. C’est ouvert. C’est l’existence à construire. Cela porte un joli nom : Démocratie, et c’est aussi fragile que notre vie exposée au temps et à la finitude.