C’est le printemps, le lever du jour, les commencements. Nous avons reçu des sons à foison, nous n’entendions rien à cette musique verbale. Puis, peu à peu, le brouillard s’est levé; nous est restée cette bienheureuse nostalgie où nous avions l’amour et les sons dans le même temps; trier, ce fut tout l’effort de l’enfance : renoncer au toucher, comprendre, passer par les paroles, toutes choses complexes, ardues, parfois féroces (on entrait en solitude).
On associe l’amour et l’enfance et l’on voit bien que c’est une convention; le vert paradis n’est souvent pas si rose. L’enfance est ainsi cet apprentissage, ce tissage de sonorités vertes comme l’avril, toujours interrogées, toujours démêlées, toujours recommencées. L’en-fant est un négatif; c’est celui qui n’est pas doté de parole.
L’avril est le temps des effluves, des floraisons, d’une tiédeur nouvelle. Reste au long de l’année une manière de petit froid, comme l’ombre des paroles incomprises au creux de la première enfance. On sent qu’il faut chanter et rechanter, puisque petit d’homme nous n’avions que les sons, cet obscur lumineusement attirant. Les voix flottaient, aimantes peut-être, mais peu claires : on les retrouve à l’aube, figurées par la brume de printemps qui prépare la montée du soleil.
Je n’ai pas encore dit le fond du propos.
Le mot qui s’impose dans cette confusion douce, dans cette ombre précédant la lumière, c’est le mot de poésie. Le poème est la trace rêvée de cette enfance où le langage nous échappa longtemps. Tout poème est un baume qui apaise les blessures d’incompréhension que nous avons subies. Cette impuissance qui nous frappa, la voilà révélée, traduite enfin ; le poème est un secret qu’on lève, un pouvoir qui nous est octroyé, où la musique et les mots se caressent en prenant mille précautions que l’on appelle des vers. Le blanc qui est à droite permet au lecteur d’y déposer sa propre enfance.
Le poète reste ce modeste d’importance.