j’ai rêvé que dans ce pré printemps
pareille tiédeur allait m’avancer dans l’année
la peau me donnait à sentir un presque
je m’autocongratulais d’avoir passé l’hiver
hors misère dans la joie relative de musarder
à travers les jours de pluie de froid
mais j’avais ta douceur amie
mais j’avais ta voix ami
sur l’île déserte je n’aurais pas tenu
mais il est vrai que cette île
bienheureuse ne connaît pas les saisons
ni les guerres
ici inconséquence effroyable
à peine la température est-elle supportable
voici les chars et les fous du chemin*
qui gravent leurs croquenots sur le dégel
la tiédeur qui fait miauler les chats
est l’amie des canons
la chandeleur fabrique
au fond de la poêle des soleils
au fond de l’usine mille obus
la pudeur est vaincue par l’envie d’en découdre
alors les braves normaux sortent en bras de chemise
pour apostropher les voyous
et les renvoyer ipso facto
vers les fabrications obtuses
de leurs bestiales cervelles
*en russe, chemin se dit : poutine
Oui, ce printemps douceur vacille et se partage en son envers. Vertige insondable.
C’est sur cette bascule que je nous vois. Les mots manquent pour le dire: fragile, vertige, incertitude, anxiété, mais aussi espérance, distance souriante mais ferme, amitié spontanée.
Une bascule qui mêle la fragilité de toute vie aux grands bruits ferocoes des guerres. Nous aurions pu naître là-bas et voir le printemps en promesse étouffer dans les bombes, les flammes, la poussière. Là ou pousse la guerre l’herbe s’éteint et le ciel est en deuil, là où pousse la guerre les rires reculent à fond de gorge.
Et au milieu de ces ombres menaçantes, le soleil et la lumière ici créent des impatiences dans les rameaux. J’ai vu ce matin une feuille neuve d’un vert très pâle s’ouvrir. Et les mimosas embaument lourds déjà de leur offrande. J’aimerais comme Bonnard trouver ce jaune lumineux qui envahit des toiles et un bleu strident pour éloigner les sombres pensées.
Les mimosas… Un pur éblouissement lumineux, un flot de couleur jaune. Avec un pinceau ce serait en enchevêtrement de touches jaunes submergeant la toile pour évoquer le poudroiement des mimosas en fleur. Je n’y résiste pas. Peut-on traduire cela avec des mots ?
Rien n’est impossible aux mots, vous dites “traduire” donc forcément il y a du lexique la derrière, la langue a cette souplesse, comme tout art bien cultivé. je vais essayer. Mais j’ai dû déjà écrire sur ce même sujet, je vous tiens au courant. Courage à vous pour les enchevêtrements de touches jaunes.
Dans mon dernier essai la toile a fini jaune, entièrement jaune, un éblouissement de mimosas mais mon petit-fils m’a demandé où étaient les mimosas !
C’est lui qui a raison !
Oui, hélas !
Et puis non. L’enfouissement dans le jaune était un tel bonheur que je ne regrette rien.
Quelle bonne nouvelle la parution de :
“Brassens ou le désaccord parfait”, de Raymond Prunier, en ce début mars 2022.
Note de l’éditeur :
“De celui qui partit trop vite, ce livre fait certes un éloge vibrant, mais il propose également une exploration du chemin qui vit se déployer le vaste monde de ses chansons. Raymond Prunier s’efforce de retrouver, en un chant tout personnel, une voie parallèle qui dit les bonheurs et les peines de l’artiste d’exception que fut Georges Brassens. Le propos est nuancé et le plus souvent joyeux. Au bord du temps, en chapitres sensibles, le rêveur-auteur propose un lyrisme tout en prose mélodique. On devine que la fréquentation assidue des œuvres suscite des intuitions qui mettent en valeur le travail subtil des chansons dont la qualité est sans cesse renouvelée. Il fallait expliquer comment ces dernières dorment toujours dans nos mémoires et pourquoi elles s’éveillent encore à la demande ; à n’en pas douter, les chapitres successifs de l’ouvrage répondent à ces interrogations ; quant aux rêveries, inventées au gré des paroles et des musiques, elles combleront les amateurs éclairés (et les autres).”
Les éditions Mille Sources (Gilbert Beaubatie) ont été créées au tournant du siècle, à l’occasion d’un hommage rendu au philosophe Gilles Deleuze, auteur, entre autres, de Mille plateaux.
gilbert.beaubatie@gmail.com
(234 pages – 25 €)
Bravo, Raymond et pleins de vœux d’harmonie pour votre lecture, ce soir.
Merci Christiane !