arbres d’hiver

Les frissons tremblent aux bras de nos arbres embarrassés d’avoir laissé leurs feuilles au pied de leur unique patte rêche. Ces verticaux chantent au noroît une frêle mélodie scandée des heurts de leurs rameaux défaits. Il sacoquinent entre eux, bosquets où l’on s’abrite, église laïque aux piliers friables. 

Les croisements de leurs branches étoilées tracent au ciel d’hiver d’abstraites malices que les bouleaux soulignent de leur pastel crayeux. 

Ma main les effleure tendrement comme si j’étais le maître d’oeuvre de la chapelle impromptue et je me surprends à leur parler, murmure pour les amis.

“Personne ne vous voit. Vous pouvez sommeiller sereins dans nos brumes. Parfois, c’est vrai, on entend des tronçonneuses, je comprends vos atermoiements. Ce sont des chasseurs de troncs qui préparent l’hiver à venir; mais vous êtes si frêles; votre bois ne ferait pas long feu. Et puis voyez les pies, les merles, ils savent mieux que nous ce qu’il en est des hommes des bois. Leurs nids sur vos épaules sont preuves, malgré votre apparence, de votre solide permanence. Croissez tranquilles!”

Ils me confient qu’ils ne se risquent pas encore à bourgeonner; l’un d’eux dit en frottant ses branches: “Voyez, vous, vous ne vous promenez pas tout nus”. Du bout des gants, je remonte mon col en souriant: “Gardez-vous bien de bourgeonner, dis-je, le gel vous tuerait les pousses!”

L’arbre est un sage. Il ne répond pas. Il sait. 

Je dépasse la clairière au bosquet et soudain, à main droite, un bloc rouge descend sur les cimes brouillées. Un tableau s’élabore mystère. 

Le gris pèse sur le silence et comme la brise se pose, les cimes se taisent; me voici seul au monde; je songe un court instant que je suis sourd. Un geai me rassure en m’effrayant de son vol droit devant: Il hurle. Le globe orangé du couchant entame sa glissade derrière le fouillis des branches puis soudain se maquille en vitrail. Chaque brindille offre un encadrement de nuance différente. Il me plaît de penser que c’est le geai qui a donné le signal. 

Je suis seul face à la peur d’être seul. Immobile j’observe le chevet qui croule du rouge à l’orange. S’y mêle un vert pâle venu d’on ne sait où. Chaque rameau fait office de plomb qui encadre les couleurs peintes par le crépuscule généreux.  

Le temps, ouvrier du beau, fait décroître les teintes et me voici, bras ballants, face à la nuit. Je répète en secret : bras ballants, face à la nuit. 

Je crois bien que c’est ma vraie nature; et je souris de reconnaissance car c’est la preuve que je suis vivant.

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