pas

ton pas est tout toi

que j’attends

suspendu au rythme de toi 

avec ta voix 

il y a ton corps qui bat le pavé 

et ton coeur qui redouble ton pas

mais que je n’entends pas 

alors que je devrais t’avoir en moi

les amoureux lisent les coeurs au pas

je pense à la terre qui te porte 

à cette dalle frappée qui vient de toi 

et moi de loin j’entends le pavé dépassé

que je passe en pensée

à la joie qui part de l’appel du pied

tu devrais être là 

un bon sang ne ment pas 

j’entends pourtant là-bas 

les échos de ta voix 

qui dit me voilà

mais ce n’est pas encore toi 

je compte du bout des doigts 

le temps sans toi 

c’est peut-être ce pas là 

ce n’est pas dieu possible 

j’ai toujours su ton pas 

c’est bien toi 

mais non 

une passante avait hélas

prit ton pas 

tu ne viendras pas

Égale Genève 

Après la nuit intérieure du train gris, le tendre éveil de Genève vient crever l’immense vallée que le Rhône tout jeune fait sourire. Le fleuve se perd puis se retrouve, optimiste murmure des eaux mêlées qui chantent l’amour et la joie du corps à corps: le fleuve rencontre la large rive du  lac, homme et femme. C’est l’apaisement après la vigoureuse ruée hors des Alpes. Il semble alors en cette fin novembre que l’automne n’aura jamais été plus beau. Le lac de Rousseau tout de soleil vêtu laisse boucler sur ses solides épaules alpestres des suites de vrilles fantaisies – coiffure exubérante-  aux teintes brunes que le silence exalte et les monts  caressent tendrement la laine argentée des flots, prêts à être saisis par une main audacieuse ou un regard enfin un peu curieux. Les rages aux rocs ne sont plus de saison. L’année agonisante s’en vient céder, comme le fleuve contre l’île de Jean Jacques, statue plantée en pleine ville. 

Je reste longtemps à ses côtés, espérant qu’il va me tendre le livre qu’il tient sur son genou, avec son sourire serein, ‘Les Confessions’ sans doute, qui lui valurent tant d’hostilité, alors qu’il s’agissait de vérité crue, pure, transparente comme l’eau du lac. Jean Jacques mon ami, si tu savais comme tu as su m’aider lorsqu’aux pénibles rebuffades de ma jeunesse j’ai pu trouver dans ton texte la joie d’affronter ceux que tu appelais de ce mot enfantin et magnifique de candeur: les méchants. Alors je recourais précipitamment à ta prose mélodique, alors je m’élevais au dessus de tout ce qui fait la cruauté de nos destinées sociales. Tu me prouvais que j’étais en droit de revendiquer la culture et l’intelligence des choses et des hommes, malgré un statut social peu reluisant. Ma maigre fortune me devenait presque un avantage puisque j’étais comme toi!

Ce solitaire qui nous fit tous égaux, dicte dans le bronze l’apaisement qu’on lit au Léman. Tous les hommes comme toutes les vaguelettes sont à égalité. Le génie, enraciné dans son île, livre en main, nous laisse décider dans le doux Genève ce qu’il adviendra de nos hésitations derrière nos chances équivalentes; la ville à l’accent grave sourit pour encourager les amis attentifs, ceux qui nomment Rousseau ‘Jean-Jacques’(y’a -t-il d’autres auteurs qu’on nomme par leurs prénoms?), ceux qui adressent toute leur tendresse vers le penseur, vers celui qui fut tant privé de mère. Il a projeté jusqu’à nous le beau sourire d’ici. Je m’approche, laisse l’eau du lac mouiller ma chaussure, j’effleure sa république en souriant. 

J’ai eu de la chance d’avoir le genevois pour penseur préféré. Il m’a grandi. Son chant résonne en moi tant que je vivrai. Il a justifié à lui seul le droit de m’exprimer, merveilleuse présence.

 voyage à Genève

dès les rocs de Bellegarde 

l’abrupt surgit dans son attente immémoriale

déchiré terrible

effroi des wagons qui les frôlent 

la chute au Léman si bien préparée 

se fait alors prairie grise et bleue

le lac enfin

miroitements régulièrement intermittents

le regard s’apaise au col des cygnes puis monte

vers pics et monts là-bas

crânes blanchis des saisons 

arborant leur abstrait vertical

soulagés par le roulis à mes pieds 

oh la neige

qui copie les ciels de décembre 

c’est le vieux chant des ruisseaux

cultivé patiemment et tout à coup étranglé 

au tendre clapotis de Genève 

dans le sourd chuchotis strié des mouettes cruelles

j’admire enfin 

la poudreuse fermeté 

du jet d’eau trop humain 

qui s’en vient ironique 

parodier les acrobaties des montagnes

sachant en alpiniste pressé

qu’il n’atteindra jamais l’altitude vertige 

modeste mobile immobilité 

et trouble comme nos vies 

qui sourient bouche pincée 

de nos exploits tout relatifs