veilleuse

la veilleuse vacille

au fil du temps 

au gré du vent 

ironique elle faiblit avec les ans 

mais elle tient

brûle rouge

je chéris aussi ses ocres

qu’elle emprunte aux feuilles mortes

brune lampe écarlate tremblante

tu dois tenir encore lui dis-je

saison n’est pas raison

l’ocre de ta base

doit encore supporter mon fragile battant

les éclats sur ma main

sont tavelures qui témoignent des écrits

se disputant ma peau

je souris de les voir se pousser

jusqu’au bord de ces ongles

qui faisaient crisser mes draps

or curieusement

maintenant que j’approche du but 

je dors tranquille

la veilleuse est allumée

Le galet d’Isaac 

(11-11-2024)

Je me suis souvenu à l’instant du choix que sa stèle est blanche. Et c’est  ainsi qu’à l’ultime moment j’ai élu un élégant galet blanc. Au premier contact j’ai éprouvé comme un petit choc, en accord avec ma paume; je suis sûr que  le galet a dit oui. Sa forme épousait l’intérieur de ma main. Je le serrai pour voir les traces de la pression. Aucune.

C’était un rituel pour temps de déveine. J’ai décrit à la Visiteuse – celle qui rôde dans mes premiers poèmes – les tombes, le Chemin, le vent et peut-être l’odeur de poudre que j’étais seul à percevoir. Elle a malgré tout accepté de m’accompagner. Un fois sur la route (le ciel était blafard à souhait) j’ai eu des doutes. Alors que j’avais fait mille fois le saut qui sépare du Chemin, mon imagination me murmura que je faisais fausse route; la Visiteuse, toujours attentive, me suggéra d’avoir davantage confiance en mon instinct de bourlingueur de la contrée. Notre véhicule allait y aller tout seul. Elle avait raison. Le onze novembre toutes les routes mènent au Chemin des Dames. 

Je me suis garé à ma place habituelle en face de la chapelle; des années que je faisais le voyage de Cerny, des années que le cimetière de Cerny aimantait en vérité mes petits pas. J’avais fini par aimer cette présence au milieu des absents, des croix qui cochaient l’horizon, qui bouchaient l’horizon, qui oblitéraient toute vie. Des noms succédaient aux noms derrière la porte métallique. Sur les hauteurs venteuses, les noms grondaient vertement dans notre direction. Lisant les croix j’entendais une litanie, longue plainte; je crois que c’est pour cette raison que je revenais; je voulais réentendre les drôles de prénoms, les noms très français qui éclataient de misère dans le froissement des feuilles mortes. Je comptais par les dates l’espace étroit de leurs vies minuscules, imaginais leur effroi, imaginais leur froid. Le glacé de leur vie au feu. La glace où ils se rasaient et qui leur renvoyait une image souriante, une simple image, une seule image d’un visage bientôt ravagé et qu’ils soignaient encore comme pour aller à la noce.

Je m’arrête devant la tombe d’Isaac. Tu vois, lui dis-je, me revoilà. Tes descendants m’ont donné, il y a bien des années, le droit de te saluer; tu les représente tous, tous les gisants de ce lieu. J’ai amené ce galet comme tous les ans. C’est la pierre du souvenir. D’habitude elle est noire; mais cette année fut blanche, touchée par la mort, donc je suis sûr que tu me pardonneras ce petit changement. Tu vois ton nom rappelle le rire; Isaac en hébreu c’est le rire. On ne rit pas souvent dans la Bible comme dans la vie. Quand le galet roulera de ta stèle poussée par le vent, ce sera comme un rire, comme un roulement de ruisseau, comme un fond de gorge. Il faudra que je revienne l’an prochain pour en remettre un autre, pour que le rire suscité par le vent qui bouscule les galets (semblable en cela à la mer) nous revienne. Tu es comme la Visiteuse qui m’accompagne, tu vises la joie. Ta stèle est comme un appel. Garde nous; nous te gardons.