kew gardens paradise

quand je suis à Londres, il est de tradition d’aller avec mon fils dans les jardins de kewgarden, sans doute un des lieux les plus grands et les plus variés du monde

c’est un vaste rendez-vous

branches et troncs entrelacés

qui s’aident et se soutiennent

paradis arrangé par notre fine raison terrestre

j’apprécie les litanies latines des plantes

qui se succèdent comme les lianes

d’une longue bible naturelle

écrivant un catéchisme profane

pour les fils de Linné 

que nous sommes demeurés

j’ose à peine poser mes pas 

sur le vert tissu royal gazonné

où les canes vont se balançant

sans vergogne puis parfois s’envolent

fausse peur douce des ailes 

qui d’un souffle mesurent notre espace

et s’en vont comme nous là-bas loin

dans ce jardin illimité

immense présence du paradis terrestre

que seuls les oiseaux savent dominer

d’un battement d’ailes détendu

si le soleil s’en mêle

les amoureux s’attardent devisant peu 

pas de pomme à cueillir

mais je surprends leurs doigts qui s’entrecroisent 

tandis que des flâneurs glanent

et glissent des graines dans leurs poches

avec l’espérance de transférer 

ce vaste éden

un peu dans le petit arpent de chez eux

par la grâce complexe 

des reproductions botaniques 

qui accroissent pour soi l’éternel printemps

-ce sera l’an prochain-

et font le vrai mystère des jardins

fin d’été

la nuque de la belle saison

bascule vers l”avant

l’été sera désormais le passé d’être

puisque tu as voulu nous quitter

les paupières à jamais abaissées

respiration suspendue

souffle cloué sur le tronc du corps

vois nous

nous allons ces jours-ci au déclin de septembre

douce pente lente en hommage

à ton dernier été

je suis du regard chaque soir ce soleil vigoureux

qui se plaque sur les toits et les chaumes

sorte de doré aventureux

reflet d’un miroir arrière

où la saison s’observe narcissique

dernière douceur du temps

le vent fraîchit les cols

mais tu connais ce froid

c’est le même en tes veines et sur ma peau

allons

nous étions fragiles

et nous avons fait semblant de ne pas le savoir

tu es partie devant

nous laissant là debout

en larmes et désarmés

songeant que la saison des corps qui dorment sur le sable

ressemble curieusement à celle des dalles glacées

gré

j’aime dit le papillon 

quand ton pas ralentit dans la bruyère

il se fait alors un silence si doux 

que je cesse d’agiter mes ailes

caché je t’observe d’un oeil apaisé

rien n’arrive plus sous ta semelle 

tremblement ralenti tout au plus 

rien à voir avec le début du chemin 

où tu piétinais contre ton destin

ta présence épouse les aspérités 

c’est un chant bouche fermée 

acquiesçant et bellement posé

la peur s’est dissoute

dans l’été de septembre 

  • tes battements me vont dis-je

pour ma part j’aime ton gré

cette liberté où chaque seconde à venir 

claque muette par petits coups

gracieusement géométriques

tu es du présent l’acteur parfait

toujours inattendu constamment fleur 

tu vas voles et reviens indifférent 

et donc joyeux 

ton rire est au coeur du gré

on envie l’immortalité nature 

de tes instants silencieux 

qui semble réjouir tous ceux

que tu touches 

roi Midas des halliers gris

si tu savais

comme les hibiscus ont fleuri

et les deux tournesols

bien plus hauts que moi 

deux yeux vivants 

eux 

qui s’animent dès l’aube

aux premiers souffles du jour

alors que toi 

sans souffle ni jour 

tu erres parmi les ombres

et les petites ruines du souvenir 

parfois tu te dresses triomphante 

je te vois dans ta robe ocre de reine 

achetée trois sous 

noblesse oblige 

comme un défi déjà 

à l’automne approchant 

tandis que nous avancions solennels

épousés incrédules 

au plein des vignes graves

qui n’attendaient que nos mains bleues

pour nous verser 

leur ivresse 

piquette du pauvre 

richesse des rires 

puis il y eut l’été de cette année 

voyage d’hiver

et le vent insalubre

mais cela tu le sais 

1er septembre 2024

 Tout est vrai: les fleurs  bien sûr, mais même la robe ocre qu’elle portait je crois au jour de notre mariage (16.10.1972); nos mains étaient bleues de la vendange de la veille que nous avions faite avec les paysans du voisinage, douce journée rayonnante du Gers.