civilité

constante agitation des enracinés 

troncs branches et ramures sous le vent 

nous chantent les charmes

de l’immobile mouvant 

j’ai suivi leur leçon 

je ne vais plus droit devant 

la terre est vaste

et trop peuplée

désormais je me tiens coi

c’est ainsi que les êtres proches du but

doivent avancer sur place

pourquoi faire encore trembler la terre

chars et pas guerres et cris 

il fait si bon écouter

le silence des troncs

et s’arrêter longtemps 

pour chanter ainsi que feuilles et bois

j’assure que les larmes sècheront vite

les oiseaux se montrent la route 

le coucou par le souffle 

les autres par le grain 

mais il n’est aucun vent qui souffle et chante

aux hommes la direction

c’est pourquoi ils virent à l’aigre

alors qu’il convient de rester sur place

apaiser la terre agitée

admirer tout autour de soi

tout admirer sans se lasser

et les visages qui ne sourient jamais

suivant notre modèle 

finiront par s’ouvrir à la civilité

29 juin 2024

feu 

l’hiver avait étreint nos terres de ses draps blancs

il avait bien fallu dormir quand même là-haut

histoire de rêver un peu 

c’était un froid inconfortable mais pas mortel 

et puis là 

vois la peau se rembrunir

aux éclats du bleu effarant 

l’été revient sur ses griffes de feu 

sans prévenir 

le navire étriqué des jours flambés 

va on ne sait où réchauffer les nids

profitons des eaux des vagues et du ressac 

la mer se meut pour notre danse privée 

les gouttes se font averse craquante 

soulagement glissé jamais déplacé 

je nage mais je me vois au plus bas des terres 

sur cette ombre massive grosse des lois

de la lune et de la chute gravité

puis soudain debout 

je me penche

pour retrouver les fleurs oubliées

pivoines roses un jour pas si lointain

ma paume en cherche les restes jolis

joues d’enfants serrées de joie

à l’affût serein du printemps à venir

après l’hiver

après les délices généreuses des sables tendres de l’été

qui félicitent les pas

d’épouser si bien les grains de l’astre terre

Ronsard, les roses et Guillevic

RONSARD ET LES ROSES

Que serait Ronsard

Sans les roses ?

Mais que seraient les roses

Sans Ronsard ?

Seraient-elles

Ce qu’elles sont

Maintenant pour nous ?

Probablement

Elles provoqueraient moins.

S’il n’y avait pas eu Ronsard,

Autres seraient nos douleurs,

Nous dirions moins bien

La joie.

2 février 1986

(“Accorder” Eugène Guillevic, Gallimard, 2013)

Je me permets d’ajouter à la merveille de Guillevic ces quelques dérives:

On a l’ impression que Ronsard est le masculin de la rose. 

Il en est le père; sans lui et ses vers, elles ne se seraient peut-être pas épanouies.

Sans Ronsard un parfum manquerait au monde.

La rose est l’autre nom de l’amour. Or, la Renaissance est parmi nos livres le pays de l’amour et Ronsard est le poète qui vient aux lèvres lorsqu’on pense à ce printemps de notre culture. 

Le rose, la couleur rose, LA rose donc,  vient du froid de l’hiver blanc et s’épanouit avant le rouge du soleil de juillet; mélange des deux excès, elle est contemporaine du premier temps; elle est le printemps. 

La question vaut alors d’être posée: y’ a-t-il une autre saison? Les trois autres, dûment estampillées, sont du déclin ou de la mort. Seul le printemps a cette joie spontanée, ce positif total, cette allure magnifique qui dit que tout est beau, que tout respire l’optimisme créateur. Un sang neuf parcourt le pays qui ressemble au printemps, qui est à lui seul déjà le printemps, à savoir la France tempérée, doux pays, avec des extrêmes nord et sud qui frisent l’excès, mais qui dans sa majeure partie est en effet selon le vieux mot: la doulce France. C’est précisément le centre du pays de Ronsard. 

On peut sourire de ces approximations que je formule ici avec une assurance qui se défait des nuances coutumières. Pointe occidentale de l’Europe, elle sème pourtant ses fantaisies magiques à l’intérieur des imaginations. Sa tiédeur, son extrême richesse architecturale, ses terres richissimes, font d’elle un pays troublant qui exhale comme la rose un parfum prenant. 

Le globe-trotter, revenant au pays, doit reconnaître que son pays a un côté fabuleux; et voici que lui reviennent ces vers: “Il est des parfums frais comme des chairs d’enfant, doux comme les hautbois, verts comme les prairies” (Baudelaire) et il comprend qu’il a bien fait de partir, pour retrouver avec joie ce parfum au pays des roses tempérées.

que sont les amis devenus

(Rutebeuf)

quand je reviendrai 

car je reviendrai 

il y aura l ‘étroite rue aveugle 

résonnant des rires de  l’antan rejoué

et les cris surtout 

quantité de voix où les pauvres

ne s’entendaient pas faute d’écouter

alors parurent sur ce décor 

les amis éphémères 

aux corps embarrassés

qui fuirent vite loin de notre monde 

un très long temps 

pour toujours souvent 

peu demeurèrent

une poignée

mais pourquoi sont-ils tous restés enclos

dans ma boîte crânienne

visages estompés c’est vrai 

de l’autre ĉoté 

de la porte vitrée des ans 

ils sourient font des signes disent leurs noms 

mais le bruit est tel  

que je ne perçois plus que la musique rauque 

de leurs cordes vocales

le vent a balayé le reste 

les traits du visage marqués de coups 

les coiffures incongrues 

et les pantalons crevés de partout 

que l’on remontait machinal 

en reniflant 

à défaut de mouchoir

nuages

c’est au zoo qu’ils se poussent  là-haut

comme les animaux d’enfance 

ours chiens ou visages parfois

ils s’offrent denses impalpables

ils me sont rêves intouchés

ils ont du vagabond l’allure dégingandée

et leur joue ouatée se défait 

méditant lourde et légère

oui ma vie s’y accroche 

leur sourire m’emporte

beaux insonores du jour

ils vont sous le vent

verser quelque pluie du matin 

ils sont anges mystères des légendes lointaines

personne ne sait rien de vous

et vos destins discrets s’effilochent 

ils passent comme nous 

lents et rêveurs 

gros de nos songes

allez  

vous êtes du troupeau 

qui porte la mer dessalée 

aux enfants du temps 

rôdant tranquilles sous la lumière de juin

personne ne vous arrêtera

vos pluies sont attendues 

par la terre nourricière

miroitements

la forêt suffit

pour être jeune 

inutile d’aller à la fontaine

de jouvence 

l’âge s’efface sous la mousse

et sur le chemin sombre aux terriers de lumière

le pas chante brisant feuilles et branches 

les cimes craquent c’est vrai 

mais l’escalade se fera 

on va rêver l’autre vie 

et tant pis pour la pluie 

si les grillons s’énervent seuls

dans l’attente de l’azur vif

il se fera bien des matins radieux

marche rapide 

yeux bleus limpides 

et de soleil émerveillés 

même si les lourds ombrages encore 

couvrent nos corps engoncés 

nous sourirons aux jours aux mois aux décennies 

contre l’ennemi froissant 

nous garderons lisses nos joues 

contre le tapis glissé des ans  

forêt ma splendeur solide 

je t’en prie 

abrite les chants les amis 

éternise nous parmi les troncs

cette beauté

de miroitements lumineux

qui miment la sérénité