6 septembre 2010
Je me suis levé de bonne heure, c’est le jour des achats pour le mariage, fleurs, tissus pour les robes qui seront faites maison. Les réverbères sont allumés en plein jour, personne sans doute pour les éteindre, ce que j’interprète comme un signe de bonne santé : le gaspillage est un luxe, dynamique d’un pays qui s’étonne de devenir un peu riche. Un scrupule d’écologiste me tire par la manche, je m’indigne un peu malgré tout en bon occidental fatigué, alors que cette aberration – la lumière électrique au pays du soleil – dit à peu près : « L’électricité ? T’en fais pas, c’est comme les enfants, on en fera ». Partout, on voit sur les artères principales des employés municipaux qui balaient tout le jour les feuilles et les déchets divers ; on dirait une manie nationale, à l’intérieur des appartements et des maisons, des balais s’activent, corps courbés, immenses poubelles sur roues, raclement qui veut signifier qu’on n’est plus tout à fait dans un pays pauvre.
J’aperçois sur la place principale un attroupement qui ouvre sur un vide aux aspects inquiétants ; je crois à une lutte d’ivrognes mais les uniformes gris de la police, devant une voiture banalisée, s’affairent autour d’un corps tiré puis poussé à l’intérieur du véhicule. Effroi devant tant de brutalité ; la petite foule suit sans broncher, sans parler, à une distance respectable l’embarquement du présumé délinquant ; on entend les claquements des matraques sur son dos, ses jambes, même la tête est visée. Mes réflexes me dictent des mots comme « droits de l’homme », « respect de la personne », mais la réalité d’une action qui paraît évidente ne soulevant aucune protestation, me murmure des choses contradictoires : ce pays est jeune, une dictature traîne encore dans l’air, il faut assurer l’ordre à tout prix… et la voiture démarre en trombe laissant deux policiers en faction sur la place ; ils sont effrayants, flashball sur la hanche gauche, revolver à droite, ils ne sourient pas et personne n’ose les approcher encore moins les saluer. Plantés solitaires, ils dessinent autour d’eux une sorte de halo stupéfiant, les passants les contournent de loin ou traversent la rue dès qu’ils les aperçoivent. Ces soldats gris bougent à peine, observant les véhicules qui spontanément ralentissent dès que leurs silhouettes se profilent au travers du pare-brise ; leurs matraques pendent au côté droit comme les épées des seigneurs d’autrefois. C’est la première fois que je suis pris ici d’une forme de peur réelle, je redoute un contrôle, je n’oublie pas que je suis blanc, de ce blanc qui dit l’étrangeté, et ma peur s’étend soudain à celle que j’ai lue parfois sur les visages de maghrébins dans la salle des pas perdus de la Gare du Nord, lorsqu’ils se font contrôler par des policiers armés jusqu’aux dents. L’inquiétude ne se dissipe pas, car ils se tiennent là, hiératiques et solides, les pouces dans le ceinturon, le regard légèrement levé, l’un d’eux porte même de terribles lunettes de soleil qui bougent à peine ; la glace transpire de ces statues, leur immobilité fait comme une ombre supplémentaire sous les riants cocotiers ; ils semblent avoir été choisis pour ce rôle en raison de leur largeur d’épaule et de leur haute taille : des fauves prêts à bondir à la moindre incartade.
O meu filho suppose qu’il s’agit d’une affaire de drogue, il a lui-même été sollicité sur la place en plein jour pour acheter du cannabis : « Des vendeurs reviendront dès qu’ils seront partis ; la drogue est pourchassée sans pitié. À Salvador de Bahia, la veille encore, un homme a été poignardé en pleine rue pour les mêmes raisons. Il faut être prudents… surtout nous ! », dit-il d’une voix calme.
Et nous voilà partis vers Porto Seguro. Voyage dans l’autre sens, cahoteux, sur les pavés ; je sens dans cette bousculade motorisée que mon corps n’a pas encore oublié les coups de matraque s’abattant sur les os du délinquant présumé ; la chaleur me colle déjà partout sur la peau. Heureusement, la brève traversée de la baie nous attend ; dans ce sens, le voyage est gratuit et l’envol bleu gris sur les eaux lourdes entame un clapotis comme un pianissimo contre la coque solide du ferry et j’ai l’immense joie de voir mes amis les condors qui se parlent là-bas sur l’autre rive malgré le grondement du diesel si lent dans ses heurts brisés. Je me dis que c’est l’eau qui porte les sons, que j’invente peut-être un dialogue, que le soleil craque, éclate plutôt sur les cacaoyers lointains ; mais ce sont les vagues immenses des bords de la baie, là où l’océan s’écroule moussu, qui font ce raffut fruité dont l’écume semble nous toucher de loin comme une souple bénédiction ; les doigts de la mer nous effleurent de leurs gouttes salées, passant au-dessus des lauriers roses qui débordent sur le flot saturé de miroitements, mille éclats posés sur l’eau calme aux replis de tissu.
À Porto Seguro nous retrouvons les parents de la Reine des Lieux. Le père ne dit pas un mot, portant déjà quelques paquets ; la mère ravie nous conduit dans la rue principale où l’on erre de boutique en boutique ; elle nous fourre dans les mains des sacs dont on ne sait ce qu’ils contiennent ; suivant la leçon de sagesse de o meu filho, je ne pose aucune question ; « Il est bon d’être là pour porter », dit-il. On se charge comme des mules attendant longtemps devant les boutiques où les choix se font sans nous. Il règne une petite joie maligne où les femmes nous transforment en animaux de trait. Le père sans doute lassé disparaît ; on le retrouvera au bateau du retour.
La traversée dans l’autre sens est payée par le père… je m’en étonne, mais mon guide m’explique que si c’est nous qui allons acheter les billets ils vont nous faire payer le prix fort ; si les acheteurs ont le faciès des gens du cru on paye deux fois moins cher. Je me garde bien de crier au racisme ou même de m’indigner, je préfère me perdre dans les odeurs de fleurs que nous portons. Le soleil écrasant de l’après-midi me fait tourner la tête – ah oui, je n’ai pas mangé une bouchée depuis l’açaï du matin – et pris de faiblesse, je laisse courir la folle du logis, sans contrôle : je n’oublierai jamais cette baie pacifique d’une langueur grave, vagues où l’on ne s’ennuie jamais ; elle me rappelle a contrario les rives du Lac Trasimène en Italie où il y a près de quinze ans je m’étais arrêté sur l’écoute des hurlements des Romains terrifiés par les éléphants d’Hannibal, eaux que je crus, que je vis rouge sang… mais qu’est-ce que l’effroyable carnage des Carthaginois comparé au Chemin des Dames, à vingt kilomètres de ma petite campagne où les blés neufs, coupés de frais, comptent autant d’épis qu’il y eut de morts en 1917 et dessinent comme ici des vagues tranquilles et roides à la fois, la vie, les vies, tant de vies, tant de siècles ? Ainsi la baie, ainsi le Lac, ainsi à perte de vue les carnages sous les blés… la paix alizée, la mer au loin rythmée par les appels des condors qu’on envie de n’être pas des hommes.
Et pourtant quoi de plus réjouissant que de voir la mère de la Reine des Lieux serrant contre son corps un pot de fleurs roses emballé dans un papier transparent qui craque à chaque remous du ferry ? Peut-on oublier cette image ? Le mariage, union de l’occident et de l’Amérique livrée si longtemps à la cupidité des chrétiens de chez nous, cette fête qui nous attend et se déploiera comme une fleur dans peu de jours… allons, n’est-ce pas le signe optimiste et courageux des beaux enfants de Marie ? Je sens que dans la brise un autre message nous est envoyé, quelque chose de rassurant et qui ressemble en très discret à l’« embrassez-vous millions d’êtres » du poète, que je trouve tout à coup un peu trop solennel. Il vaut mieux s’attarder très concrètement sur cette paix humaine et douce d’un couple improbable, et qui prit feu quelques mois auparavant : on y respire le salé piquant des rencontres impromptues et le long sucré de l’haleine du temps.
À l’instant où je pose le pied sur la pente qui remonte vers la terre où tout aura lieu, un souvenir me revient, presque rien : c’était au bord du Lac Trasimène justement, ma dernière petite fille avait alors huit ans, et je la tiens là, je serre sa main encore minuscule pour dominer les cris des Romains écrasés par Hannibal, je lui souhaite ainsi la paix, il y aura la paix et je suis si muet, tellement impénétrable, que sa petite voix parfaite lance : « Qu’est-ce qu’on fait ici ? Il n’y a rien à voir… – Rien en effet, ma douce, rien… » Et je lui serre un peu plus fort la main. Trasimène, les Romains, les Carthaginois, combien se souviennent du latin qui rapporte ces histoires aujourd’hui à peine lisibles ? Il en sera ainsi un jour du Chemin des Dames ou de la conquête du Brésil… après le débarquement des Portugais dans la baie de Porto Seguro (Pourquoi cet événement lointain me revient-il à travers l’histoire de notre occident, mais caché, voilé par des horreurs équivalentes ?).
Un bus nous ramène après de nombreuses haltes – pour le faire arrêter il suffit de tirer sur un fil de fer qui longe en hauteur tout l’intérieur du véhicule – et nous revoilà dans la misère totale après avoir traversé mille obstacles, ornières, nids de poule, qui nous firent sursauter au rythme d’une basse incohérente soutenant la mélodie des trois lieux qui sont autant de classes sociales : au bord de la baie résident les riches, au niveau de notre pousada les petits-bourgeois et là où nous arrivons sur un plateau poussiéreux, balayé des vents, rayé de rues terreuses où le bus frissonne comme un cheval épuisé, l’incohérent niveau des pauvres, des très pauvres (et où, honteux d’avoir acheté, nous traînons nos paquets rutilants). Ainsi va l’ironie sociale : plus tu montes, plus tu es pauvre et Jésus l’avait dit qui promettait le paradis aux va-nu-pieds et les flammes de l’abime aux richissimes, joli tour de passe-passe dont, jusqu’au marxisme inclus, nous connaissons les avatars sanglants. L’idée était pourtant bien belle.
Et la soirée fut d’une lenteur extrême, tranquille, d’une douceur que l’on retrouve rarement parce qu’on oublie de vivre au présent ; je me souviens des bières, des plats du cru et du rire commun des amoureux dans une nuit pleine d’étoiles illisibles à un habitué de l’hémisphère nord.
Mois : octobre 2010
Brasil 6
4 septembre 2010 (suite)
Ce samedi, je peux à loisir rassembler mes esprits, regrouper mes notes, ne rien faire, surtout savoir attendre, et la machine à rêver me reprend vers le soir sous la forme d’une guitare qui traîne là, que j’accorde longuement à partir de la chanterelle (ce qui n’est pas le meilleur moyen !) ; me revient durant ce petit bricolage où me hante le risque de casser une corde, une très ancienne remarque de Brassens expliquant à Philippe Nemo qu’il chante en définitive « à la brésilienne » et par piété – à l’instant où les chrétiens du pays se confessent pour illuminer de leur pureté les heures qui les séparent de la communion du lendemain… ils feront cette nuit je l’espère l’amour avec un préservatif et n’en auront aucun remord, n’en déplaise à Dieu, Benedictus et ses corbeaux meurtriers – par piété donc, j’entonne « Le Gorille » avec « Putain de toi », ce qui dans la pousada close fait trembler les cocotiers, même si c’est le vent qui a la plus grande part dans ce remuement. Je songe en chantant que sa façon brésilienne consiste à placer les syllabes à côté des temps et je m’efforce avec application de respecter ce décalage si plaisant qui en effet est la marque de la musique d’ici, tout aussi bien que celle des musiciens qui ont traversé l’histoire du jazz. Brassens le casanier, qui ne mit qu’une seule fois les pieds hors d’un pays francophone, eût été peut-être content d’apprendre que ses pépites explosèrent ce soir là en toute vigueur distraite à des milliers de kilomètres de sa modeste impasse Florimont où il y a soixante ans – sûrement davantage – il construisit ces petits récits tremblotants, allègres, en noir et blanc… oh, la voix perdue, grevée de tabac, je l’entends encore… et toi, m’entends-tu ? Non, bien sûr et je confesse à o meu filho combien ces paroles et musiques essayées là, sont débordées de partout par la perte du goût pour ces choses… car qui comprendra la critique de la peine de mort exposée avec tant de malice dans « Le Gorille » alors qu’elle est désormais banalement incluse dans nos sensibilités et la tromperie avec le boucher dans « Putain de toi » qui relève aujourd’hui de l’anecdote quotidienne ?
Quelques parties de billard plus tard, je m’allonge dans la moiteur fabuleuse d’un rêve où je vais me rejouer à l’envers une enfance – qu’est-ce d’autre que Morphée sinon les bras qui auraient dû me bercer ? – , ce temps du gâchis où claques et plaintes inscrivirent sur mon corps la détestation ferme d’une vie adulte… et je berce ma chance, j’endors mes enfants, je me félicite absurdement du lot qui m’échut, serrant entre mes doigts le drap humide qui dans mon esprit forme des replis de hasard, vagues de l’océan, mille détours empruntés contre le destin qui me vouait à la croix de l’esclavage des usines et me mena, comme bouchon sur l’eau, vers les rives enchantées du langage et de l’écriture mélodique. Ma dernière pensée consciente fut pour mes enfants, mes petits-enfants : et vous, vous êtes bien ? Ce n’était pas une question.
5 septembre 2010
Je ne suis pas réveillé mais au bord de ma conscience un sourire déjà : pourquoi ai-je tant d’indulgence pour les erreurs d’orthographe et si peu pour les fausses notes (sauf dans la musique baroque) ? Une voix éraillée, sans doute féminine, crève peu à peu les limbes de mon esprit ; serait-ce le retour du diable qui cogna mon enfance ? Mais non, ma mère ne chantait jamais. D’où alors cette voix stupide qui vocalise dans la chaleur tremblante de l’aube ? Je me vêts à la hâte, me rue au dehors et la voix portée par un haut-parleur entêtant poursuit avec une netteté écœurante ses litanies où portugais et latin se chevauchent dans l’air recuit. Petit poucet rêveur, je suis à l’oreille le chemin qui me rapproche de cette Édith Piaf des plages de l’Amérique du sud et mon regard trébuche sur l’église de Marie, bourrée à craquer de fidèles bruns et heureux. L’assistance lève les bras en cadence, chante à pleine voix comme au football, applaudit celle qu’il faut bien appeler la chanteuse, puis, le prêtre reprenant la parole pour parler de Dieu, du Christ, du Saint Esprit en une personne, les clients de l’office échangent à haute voix des propos qui visiblement – je commence à entendre un peu le portugais – se fichent de ces considérations transcendantes et préfèrent évoquer avec leurs voisin(e)s de banc la naissance du petit dernier ou l’augmentation du kilo de mangues. Dès que la voix cependant relance la glorieuse image de Marie, un silence se fait, suivi d’applaudissements aussi vifs qu’une volée d’oiseaux colorés.
Remontent à ma mémoire les cent lectures que je fis avant d’écrire mon opuscule sur la « Cité Intérieure » et où je découvris avec étonnement la naissance du bleu et du culte de Marie qui fit se dresser les cathédrales (dont celle du lieu où je réside) et j’imagine alors sans peine que les nefs retentirent il y a huit cents ans des mêmes cris, des mêmes applaudissements… Il avait fallu ce long voyage pour que je revienne huit siècles en arrière, comme si l’espace franchi me permettait de comprendre ce qui s’était passé sous les lumineuses verrières des vaisseaux de Notre-Dame, au moyen-âge, temps obscurs pour ceux qui ne sont jamais allés au-delà de la place du parvis. C’était ici, dans la région de Bahia, que la religion des pauvres endimanchés de frais luisait de tous ses feux… pour combien de temps encore ? Et tandis que je m’installais à distance pour déguster mon café, là où je savais que o meu filho et la Reine des Lieux me rejoindraient, je revécus très tranquillement l’écoulement des siècles, cultivant en point de mire l’image désolée de ma propre cathédrale, vide ou presque à la même heure – combien étaient-ils à l’office la dernière fois que j’y fus ? Moins d’une cinquantaine… – et je me souvins de ma schadenfreude de constater que les endimanchés de chez nous attendaient dans la nef glacée, et grandiose pourtant, que la cérémonie s’achève pour engloutir rôtis et gâteaux ruisselants, tandis que l’officiant murmurait la gloire de Dieu d’une voix frêle qui se perdait vite vers les clefs de voûte parfaites, enfermant dans cet écrin miroitant les mystères effilochés d’une religion à bout de souffle.
Comme les futurs mariés se font attendre, je longe l’église d’où sortent étrangement cette fois des « Happy birthday to you ! » – o meu filho m’expliquera plus tard que ce dimanche est le jour anniversaire du prêtre… ce qui a déchaîné cette monumentale absurdité – et j’aperçois, taillée dans la masse latérale de l’église, une sorte de crypte à ciel ouvert entièrement recouverte de photos jaunies ou récentes, petite pièce où figurent les visages de morts avec les dates et les noms, cimetière debout, grotte sans miracle qui n’a d’autre fonction que le souvenir des ancêtres… sans doute un rite païen très ancien que l’église (et son grand estomac) a englouti à son profit.
À quelques pas, l’océan éclate, toute la baie s’y découvre, le soleil grave des éclats d’émeraude, infini des marins mais aucune voile, aucun bateau, c’est l’eau d’avant l’arrivée du Dieu catholique qui brave le temps et brise les rêves trop humains. Tant de splendeur stupéfie ; une main se pose sur mon épaule… et la voix de o meu filho railleuse : « Alors, on rêve ? – Oui, bien sûr, que peut-on faire de mieux ? » Il fait oui de la tête, éclate de rire ; la Reine des Lieux nous invite d’un geste gracieux, mais pressant, à descendre vers l’océan. Le chemin pavé nous porte en cadence, anticipant sur les vagues régulières qui enrouleront de toute leur puissance les heures de l’après-midi.
La nuit est tombée depuis deux heures lorsque nous nous affalons à la terrasse de la pizzeria où trône en hauteur un grand écran de télévision qui retransmet le match du dimanche soir : Sao Paulo contre Vittoria, les roses contre les bleus, à moins que ce soit l’inverse, et par jeu, comme seuls savent le faire avec naturel les vrais amoureux libres et confiants, la Reine des Lieux prend le parti des roses et o meu filho celui des bleus. Entre bouchées de pizza et gorgées de bière, les buts dégringolent dans les hurlements des commentateurs où la voyelle « o » de « gol !» est prolongée sur dix secondes, long cri de joie qui est censé mimer le plaisir intérieur de chaque spectateur. « Tu supportes qui ? », demande o meu filho. « Je supporte le football », dis-je. Rires. Autour de nous des dizaines de gens debout applaudissent, crient, indifférents aux invitations à consommer des serveurs empressés. Pendant la mi-temps, le public se clairseme et j’aperçois de l’autre côté de la rue, à une trentaine de mètres à peine, un attroupement plus important encore ; je m’imagine qu’eux aussi suivent le match, mais le murmure, les chants scandés solennellement, le balancement des corps m’obligent à me lever pour aller voir l’assemblée de plus près. C’est une réunion d’une des cinq églises évangéliques de la petite ville dans une salle banale où un meneur, en forme d’officiant, dialogue avec la foule ; c’est un authentique échange où il est question de maladies, d’argent, de paradis et de Dieu. L’ensemble donne une impression de vivacité joyeuse, de dynamisme où les passions se purgent contre le football et autres vilénies, pour la vie éternelle qui est quand même autre chose que des gars en culottes courtes qui se disputent un ballon. « Ce sont eux l’avenir religieux du pays », me glisse o meu filho qui semble en savoir long mais ne consent pas à s’étendre davantage sur le sujet car les bleus sont menés par les roses et il est hors de question de remplacer le plaisir d’une lutte très réelle contre de fumeuses considérations sociologico-métaphysiques. Au vu de l’histoire et de la brièveté de la vie je lui donne tacitement raison.