Que font donc les pauvres tableaux la nuit, quand tout est fermé ? La lumière qu’ils cherchent à capter – c’est le but de l’art – s’éteint au creux du musée gris. Ils doivent s’ennuyer. Un gardien dirige parfois sa lampe vers un Rembrandt, histoire de le rassurer, car ils sont exposés ces chefs d’œuvres et cèderaient bientôt à la fragilité qui frappa leurs créateurs puis, les imitant jusqu’au bout, pourraient bien vouloir mourir en se pendant par exemple aux cimaises. Aussi, pour qu’ils ne s’abandonnent pas au désespoir, embauche-t-on dans les musées des gardiens de nuit cultivés et bienveillants qui rendent leur foi aux plus petits Vermeer en les illuminant ne serait-ce qu’un instant au cœur de la ténèbre. Les voilà rassurés, ils passent une bonne nuit et lendemain peuvent parader, supporter les pires âneries ou admirer leurs patients admirateurs.
Dans la journée ils ne laissent rien paraître de leurs angoisses, ils sont bien trop fiers pour cela, et puis je crois qu’ils craignent que cet aveu de faiblesse n’entache leur beauté sans faille. Décidément, ils ont beau être des chefs d’œuvres, ils n’en ont pas moins leurs petits défauts et c’est en cela qu’ils nous sont proches.