Dans l’attente du temps net de l’été titubant, les lointains alourdis de nuées, teintes encore dures d’avril proche, voient la vigueur des azurs virer à l’effondrement dans la brume monocolore des demi-saisons où tout tergiverse.
À l’avant, les branches se secouent dans le gris de leurs arbres frappés de mille métamorphoses crues et c’est souvent une manière d’explosion neigeuse empruntée aux fontes des montagnes et remontant par la sève jusqu’aux moindres ramilles, flocons en fleurs.
Plus avant encore, alentour, les maisons s’habillent de blanc, fenêtres et portes se maquillent pour séduire le promeneur averti dont les pas résonnent jusqu’au fond des chambres, frémissement régulier du gravier chaleureux contant le passage d’une vie.
Je m’étends à mi-pente du champ ahuri de croissance et mon corps se laisse recouvrir du feu frais des jeunes pousses, bain de jouvence dans l’eau bleue de la rosée, vin de vigueur qu’on boit par la peau et dont les senteurs sucrées rappellent ces baisers qu’on dépose avec ferveur sur les cous des bébés.
Ce faisant je surprends un craquement de digue, rupture des os de nos années, blocage éruptif des muscles que je croyais décidément plus souples et me voilà grippé de partout mesurant mes crampes en alarmes rouillées et c’est tout d’humilité que je me redresse sur les coudes, songeant, le regard perdu vers les lointains brumeux, combien est judicieux le décompte de l’âge en printemps.
Il faut dire que la douce France des jonquilles commence à semer son or sur les seuils: entre deux, entre l’intérieur et l’extérieur, là où sont nos pas perdus, ceux où l’on marche maintenant d’un entrain ralenti sur le chemin dallé.
Je tâte du bout du pied les primevères proches,qui, toujours premières, obéissant à leur patronyme, ont devancé toutes les autres fleurs. Je sens que cet hiver, tapies, elles ont bien travaillé pour éclore avec une pareille promptitude. Je les en félicite. Pas vantardes pour deux sous, elles étalent contre leur gré leurs feuilles au plus large du sol, si bien qu’étoiles en terre elles brillent au milieu des pâquerettes frémissantes, comme si ces marguerites du pauvre n’étaient là que pour rehausser les teintes des roturières colorées, joyaux précoces aux violets pâles ou jaunes imprécis.
La chance est à l’eau et au soleil mêlés dans nos jardins noirs, je veux dire déjà verts. Cet hiver, tapies, les primevères ont bien travaillé pour éclore avec une pareille promptitude. Tout ce petit monde à leur imitation s’habille.
On va pouvoir danser prochainement sur le gazon en gésine. Mars laisse glisser sa glace au soleil bien qu’il paraisse encore emprunté.
Le silence prend l’espace; il s’emplit doucement des abeilles et je songe au miel auquel mes fleurs participent du bout de leurs étamines au pollen enchanté. Ma gorge bouge, me prend une envie d’entonner des pièces de clavecins dont je dirais les notes à défaut de paroles.
J’aime ce temps qui n’est d’aucun temps. Depuis la chandeleur, les buissons, hérissés à faire peur, se couvrent de rougeurs timides puis de virgules à la tendresse stupéfiante qui feront les branches de demain. C’est prévu. Pour une fois que le futur se trahit, et mars était la guerre et le voilà murmurant les ombrages à venir. Ce temps sera délices et repos et l’on entendra battre et la sève et le sang.
Les folies de l’an peuvent amorcer leurs joies, pétales, halliers enfin verts, et toi, mon amour, accroche tes doigts aux miens, et sourires éberlués, sortons de l’eau froide des mois grincheux!